Jardins de Bagatelle de Guerlain : la tubéreuse des amourettes

lundi 3 octobre 2016
par  Lavinia

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Jardin de Bagatelle , de Guerlain

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Tubéreuse

Jardins de bagatelle est le plus mal aimé des Guerlain. Peut-être sa date de lancement, 1983, lui interdit-elle d’entrer au panthéon des Guerlain classiques ? Pourtant son bouquet de fleurs blanches, dominé par une note de tubéreuse, discrètement souligné par une très belle rose et des magnolias, mérite-t-il tant de mépris ? Ce n’est pas un parfum très puissant, mais agréable, comme les valses d’Enrique Granados, dont Jean-Paul Guerlain se serait inspiré des Goyescas, plus sombres, composées au début du siècle dernier et jouées avec la retenue qui convient aux modes dépassées.

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Roses blanches de la roseraie

Néanmoins, il a été dit qu’une reformulation, datant de 2014, a fait de ce parfum une ombre de lui-même. De plus, Luca Turin le critique d’un point de vue très précis : Jardin de Bagatelle serait froid et métallique. Synthétisé pour la première fois en 1968, on accuse notamment l’Evernyl d’être responsable de notes vertes et aiguës qu’il aurait été impératif de contrebalancer par des notes plus douces. Mais malheureusement, au lieu de cela, Jardins de Bagatelle nous expose brutalement à la dureté d’un produit chimique, acide et métallique, alors que d’autres parfums, tels Calandre et Rive Gauche, ont su marier l’amer et le crémeux afin de créer de véritables sculptures olfactives.

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Sculptures dans le jardin de Bagatelle


Dans mon flacon datant de 2014, le froid métallique ne semble plus d’actualité. Jardins de Bagatelle est tout simplement un parfum de fleurs blanches, dominé par le nectar de la tubéreuse plutôt que par sa face vénéneuse. Son côté entêtant s’estompe vite, en effet, aux côtés du magnolia, des fleurs d’oranger, des gardénias, de l’ylang-ylang, du muguet, de la rose blanche et des narcisses.

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Magnolia


Somme toute, ce parfum rappelle les jardins blancs, affectionnés par les anglais. Il en existe justement un exemple dans le jardin néoclassique de Bagatelle éclairant la verdure par des variétés de fleurs blanches différentes. Lumineux et printanier, Jardins de Bagatelle rend ainsi hommage à tous les jardins de rien de tout, qui se parent de blanc et de senteurs de nectar dès le printemps venu. Il n’a rien d’un grand floral capiteux, surchargé et saturé.

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Fleurs blanches dans le jardin de Bagatelle


Jardin de Bagatelle révèle, au contraire, une composition maîtrisé et architecturale. En notes de tête, la violette et le jasmin évoquent les premiers jours de printemps avec des aldéhydes, de la bergamote et du citron, ajoutant des notes de fraîcheur. La tubéreuse, tempérée par les autres fleurs blanches et le vétiver, mais présente en notes de cœur et de fond, occupe tout l’espace, décrivant un paysage propice aux amours galantes des 18 et 19èmes siècles dont ce jardin fut le témoin. En effet, il était un lieu de rencontre connu. De plus, au 18ème, la tubéreuse était réputée pour ses pouvoirs aphrodisiaques. On en décorait les chambres à coucher avec des bouquets dont la blancheur n’évoquait pas la pureté.

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Tubéreuses


On voit donc que Jardin de Bagatelle n’est ni pure et chaste comme les fleurs blanches pourraient le suggérer, car la tubéreuse évoque l’aspect charnel des amours.

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Gardenia

Toutefois, le parfum est trop poli pour être érotique. Il évoque les amourettes dans un jardin néo-classique, plein de statues, de cascades, de grottes et de plans d’eau, conçu sur le modèle sino-anglais, par Jean-François Bélanger en 1777 et réagencé en 1905 par Varé selon trois axes, qui en font un ensemble plein de variété et de fantaisie : au centre, un jardin anglo-chinois et un parterre à la française ; au nord, un jardin anglais ; au sud, le jardin moderne de la ville comprenant notamment l’ancienne orangerie du marquis d’Hertford, la roseraie, le jardin hispano-mauresque et sa fontaine appelée des « Amours de Sudre ».

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Vue sur le jardin de Bagatelle devant le château


Le parc de Bagatelle inspire la joie des promenades ludiques à l’occasion desquelles ont lieu les quiproquos des amours naissantes. De même, les fleurs blanches du parfum sont à mi-chemin entre la spontanéité et la profondeur. La mise en scène dansante de Brannag dans Beaucoup de Bruit pour rien rend bien cet esprit d’une comédie humaine, à la fois divertissante et, néanmoins, sérieuse, qui donne le ton de Jardins de Bagatelle.

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Scène extraite de Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare, mise en scène par Kenneth Brannag


Un parfum à porter par de belles journée printemps avec des tenues claires.

En note de tête : des aldéhydes, de la violette, du jasmin, de la bergamote et du citron ; en note de cœur : magnolia, tubéreuse, fleur d’oranger, gardénia, ylang-ylang, muguet, rose, narcisse ; en note de fond : tubéreuse, patchouli, musc, vétiver, néroli et cèdre. La pointe de civette a disparu de la version 2014.


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