Les poudrés : L’érotisme des cosmétiques
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Berthe Morisot, Une femme à sa toilette (1875) Si l’on remonte très loin, ’cosmétique’ vient de la même racine grecque que ’cosmos’ (κοσμητής) ou l’ordonnancement du monde. Ainsi κοσμητικός ou kosmêtikós signfie ’décoratif et ordonnancé’, et dès le 5ème siècle, Platon condamnait ce plaisir de paraître beau, en se parant et se maquillant. Mais la cosmétique avait de beaux jours devant elles : en latin cosmetes prit le sens spécifique de l’esclave chargé de la parure et aujourd’hui le terme est synonyme avec le très juteux marché des produits de beauté. Femme à sa toilette (Pompéi, 1ersiècle) C’est pourquoi les parfums poudrés ne sauraient être assimilés aux bouquets abstraits ou, ni façon de plus étendue, aux bouquets de fleurs, car ils rappellent immanquablement les boudoirs, les salles de bain et les produits cosmétiques. Ce sont, en effet, des notes dominantes de talc, de poudre de riz, de coumarine, d’héliotropine, de violette, d’iris, de mimosa ou d’amande qui donnent un effet poudré à ces compositions. Poudre de riz Primordialement, leur rendu doit donc être tactile, c’est-à-dire suggérer l’impression finement terreuse de certains cosmétiques. Les poudrés n’ont pas le même pouvoir de diffusion que les aldéhydés. En règle générale, ils laissent derrière eux un puissant sillage, mais les notes florales ne s’envolent pas : elles restent, au contraire, inséparables de la lourdeur des notes poudrées. Poudre de coumarine naturelle Au fond, il n’y a rien d’étonnant à cela, puisque les notes florales, typiques de ces parfums, ne proviennent pas de fleurs. L’absolu de mimosa, avec son odeur riche, mielleuse et chaude, s’extrait au solvant des branches de l’arbre ; une molécule de synthèse, douce et poudrée, l’alpha ionone, choisie parmi d’autres options possibles, remplace la violette dont le processus d’enfleurage s’avère trop onéreux ; l’héliotropine est aussi une molécule de synthèse qui reproduit la senteur de l’héliotrope en mettant l’accent sur sa note amandée ; enfin, le beurre d’iris s’obtient par la distillation des rhizomes qui donne une odeur délicate, poudrée, boisée, paillée, rappelant celle de la violette. Rhizome d’iris Les huiles essentielles, généralement utilisées, renforcent cet effet sophistiqué. La fève de tonka, dont l’huile contient une forte concentration de coumarine, dégage, comme elle, une senteur d’amande, de vanille, de cannelle, de foin et d’herbe frais, ainsi qu’un soupçon de peinture fraîche. Fèves de tonka L’hélicryse italienne, provenant de l’immortelle, avec son odeur poudrée de foin et de miel, peut aussi sentir le curry. Plus difficile à doser, elle est moins populaire avec sa tendance à écraser les autres notes florales. La fleur d’immortelle Les compositions, utilisant un grand nombre de notes poudrées, produisent un effet feutré et propre, rappelant immanquablement les fards, les savons et le talc avec lequel on se sèche le corps après le bain. Poudre de talc Il y a là une ambiance de boudoir à la fois très artificielle et délicate. Pour la note, le boudoir était une pièce aménagée entre la chambre et la cuisine où les femmes s’isolaient, se maquillaient, s’habillaient, causaient entre elles et recevaient les hommes admis dans leur intimité. Fragonard, Le baiser à la dérobée (1787-8). L’érotisme des poudrés vient du fait qu’ils évoquent l’amour physique, parce qu’ils rappellent, de loin, la senteur qui se dégage, de près, du corps et du visage d’une femme contre qui on se tient collé. L’odeur du rouge à lèvre, par exemple, ne sent pas à distance, mais jamais mieux que lorsqu’on le mange d’un baiser langoureux. Picasso, ’Dessin érotique’. De plus, le savon suggère la nudité, ainsi que les gestes d’une femme qui se lave, les positions qu’elle adopte, faisant penser aux caresses et aux corps entrelacés. Degas, Après le bain, femme nue, s’essuyant la nuque, 1898. Les poudrés nous font aussi penser à l’altérité de l’être aimé. Pour mémoire, le mot ’boudoir’ vient du verbe ’bouder’. En effet, c’était un lieu où les femmes se retiraient seules afin de manifester leur colère, s’entretenir en secret, lire des romans libertins ou rafraîchir leur toilette en toute discrétion. Wladyslaw Bakalowicz, Dans le boudoir Or beaucoup de poudrés contiennent une rose, lascivement défraîchie, ayant été exposée, tout au long de la journée, à la chaleur du soleil. Cette note lourde et étouffante recrée une atmosphère de bouderie dans un espace confiné où l’amante se soustrait au désir tout en le provoquant. Car la rose boudeuse promet la volupté d’une réconciliation passionnée. Rose flétrie par la chaleur Au final, la question reste ouverte quand à savoir si les plus beaux parfums ne relèvent pas forcément de l’art érotique, à un degré moins explicite que les poudrés, tant ils subliment tous l’odeur du corps, déjà décisive dans l’attirance sexuelle, en lui donnant une dimension esthétique propre à éveiller les fantasmes. Picasso, ’Dessins érotiques’. |
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