Les cuirs : l’élégance en question

mercredi 29 novembre 2017
par  Lavinia


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Cuirs (artisantart.com)



L’odeur du cuir en parfumerie prend diverses formes. Parfois forte, même brutale, elle peut aussi se la jouer fine, chaleureuse et nuancée. L’expression de ’les brutes fines’ de George Politzer, qui prônait le côté ’concret’ de la psychologie, par rapport à sa traditionnelle ’abstraction’, lui convient à merveille. Le cuir appartient au monde concret qui nous entoure et connaît des utilisations pratiques dont certaines sont très fonctionnelles, comme les selles, d’autres luxueuses, comme les gants ou les sièges.


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Vieille selle de cuir de cow-boy



Or comment mieux définir l’élégance que par la mise en valeur d’un matériau brut ? La netteté d’une coupe de vêtement ou d’une note de parfum, qui s’affirme comme tel et assume entièrement sa propre nature, saurait ravir ou déplaire, mais non laisser indifférent. Dans ce sens, le cuir s’impose par sa simplicité sophistiquée, qui en assure l’entière élégance.


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Gants de cuir (boutique-cuir.fr)



Il existe différentes qualités de cuir : la fleur de cuir, provenant de la partie supérieure de l’épiderme, là où les fibres sont les plus denses. L’artisanat d’art distingue le cuir pleine fleur, le plus souple et résistant, le cuir fleur scié dont l’épaisseur a été diminuée, le nubuck et le cuir de fleur corrigée, tout deux poncés, l’un dans le but de lui donner un velours doux, l’autre de supprimer ses irrégularités superficielles.


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Canapé scandinave en cuir pleine fleur (decostock.fr)



A contrario, la croute de cuir, correspondant au côté chair de la peau, s’obtient lors de la refente des cuirs épais en deux feuilles. Elle est sans fleur, mais a l’air lisse, à condition d’être recouverte d’un enduis épais, et peut imiter la fleur si on lui applique du vernis ou du polyuréthane. Dans ce but, on produit le ’daim’ en ponçant l’envers du cuir, le cuir suédé en le travaillant pour l’assouplir et la refente velours pour lui donner un aspect velours.


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Fauteuil salon croute de cuir (alinea.fr)



Les parfums ne peuvent que rappeler ses qualités de cuir. En général, ils s’attachent à évoquer la douceur du cuir pleine fleur, et dans ce cas, je les classe dans ’Les cuirs souples’. Toutefois, certains parfumeurs ont choisi de produire un effet semblable à celui du cuir rugueux et rigide. J’appelle ces créations des ’Cuirs drus’ même s’il s’agit là d’un abus de langage. En effet, le cuir brut ou vert, donc non traité, ne serait que de la peau ; mais ce terme d’usage commun indique simplement que le cuir n’a pas été travaillé de façon élaborée et donne un rendu cru qu’une senteur brute exprime à merveille.


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Chapeau en croute de cuir vachette (authenticschapeaux.com)



En voie d’illustration, lesdits ’cuirs de Russie’, qui apparaissent en 1875, avec le lancement de deux compositions, l’une de Guerlain et l’autre de Rimmel, sont à base de bouleau distillé à chaud, de styrax et d’encens. Ces premiers représentants la famille des cuirs, difficilement mettables tellement ils sentent forts, ne se produisent plus depuis longtemps. Il faut dire que l’idée était de représenter les bottes de Cosaques qui ne marquent plus guère les esprits.


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Cosaque en uniforme (quintessence.com)



Mais on porte encore les cuirs, moins animalisés, qui débutèrent avec Tabac Blond de chez Caron, lancé en 1919-20 et composé par Ernest Daltroff, afin de soutenir, dit-on, les femmes qui osaient fumer. Tabac Blond fut très vite suivi par Cuir de Russie de Chanel en 1924, bien que d’autres sources reportent le lancement à 1928. Quoi qu’il en soit, ces cuirs se révèlent fleuris, voire crémeux, donc très éloignés du Cuir de Russie de Guerlain.


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Affiche pur Nuit de Noël et Tabac Blond



A l’époque, l’identité des cuirs reposaient surtout sur des notes sèches : le bouleau pyrogéné, le styrax, le cèdre d’Atlas et les accords tabac donnent des notes fumées, voire brûlées.


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Bouleaux blancs



L’isobutyl quinolèine était aussi d’usage. Aujourd’hui, parce que l’Union Européenne interdit le goudron de bouleau, les quinoléines, ainsi que d’autres produits de synthèse, le remplacent entièrement.

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Formule de l’isobutyl quinolèine

Toutefois, il me semble qu’une même esthétique marque les accords cuirs. Bruts ou fleuris, les parfums de cette famille exploitent le manque de joliesse et le petit quelque chose de désagréable qui donne tout leur charme aux produits forts : on manque de tomber dans le mauvais goût, on le frôle dangereusement, ou alors il sert de contraste, comme une pointe âcre, par rapport aux senteurs de fleurs et d’épices.


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Tabac d’ornement (jardin-secrets.com)



Les cuirs contemporains, quant à eux, peuvent être hyperréalistes, parce qu’ils donnent une vision sublimée du cuir de l’intérieur des voiture et d’autres odeurs associées à la technologie, notamment celle du goudron. En cela, je trouve ces parfums semblables aux mille reflets brillants des tableaux hyperréalistes dépeignant, dans un style photographique, les objets du quotidien.


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Tableau de Roberto Bernardi



En fait, loin d’être vulgaires, les notes de cuir prononcées sont d’une parfaite élégance. Porter un tel parfum relève d’une démarche esthétique, non d’un automatisme comme peut l’être le choix d’un bouquet floral pour une femme ou d’un fougère pour un homme. Il y a là un raffinement qui vient de l’intérieur et va de pair avec une certaine allure. Imiter un artifice, que ce soit de façon baroque comme Guerlain, sublimée comme Daltrof ou photoréaliste comme Menardo, reste un exercice de style parfaitement sophistiqué.


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Naomi Cambell pour Vogue Italia (1992)



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