Les jardins : Paradis terrestres

mercredi 10 août 2016
par  Lavinia

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Fleurs taillées dans le jardin de Keukenhof


L’étymologie du mot ’paradis’ ne saurait se dissocier des jardins. ’Paradisus’, issu du grec ancien παράδεισος parádeisos (« enclos pour animaux »), est un terme qu’utilisa le latin ecclésiastique, lors de la traduction de la Bible en grec pour désigner l’Eden. Le mot était lui-même issu de l’avestique *pairiḍaēza (« jardin, enclos, espace clos ») composé de pairi (« autour ») et de daēza (« mur ») et a été transmis en Grèce par l’intermédiaire du persan pardêz. Cette conception du jardin, comme d’un endroit clos, parfois assez grand pour chasser, organisé en damiers de carrés de différents jardins, dès le Moyen-Âge, diffère de la nôtre : il s’agit d’un lieu de vie plutôt qu’un cadre décoratif pour la maison.


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Jardin d’agrément au 14ème siècle


Les parfums narratifs décrivent toutes sortes de jardins. Ils reconstituent les parfums de leurs fleurs, de leurs herbes aromatiques et de leurs arbres. Leur développement raconte généralement la temporalité d’une promenade : l’air du jardin puis la prise de conscience plus nette des fleurs et/ou des arbres dans un ordre ou l’autre. Le temps de la promenade est celui d’un présent continu où les étapes se suivent les unes les autres et les senteurs se mélangent. Il y a là aussi l’idée d’un temps fini, clos comme le jardin secret ou l’hortus conclusus du Moyen-Âge, avec sa forme carrée et sa source d’inspiration biblique, au centre duquel coule une fontaine.


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Hortus Conclusus : la Vierge entourée de Saintes


La figure centrale de ces jardins est la Vierge illustrant la fiancée du Cantique des cantiques : "Elle est un jardin bien clos, ma sœur, ô fiancée, un jardin bien clos, une source scellée." La bien-aimée parmi les fleurs, la rose étant devenu le symbole de la Vierge au Moyen-Âge, voilà un thème de sérénité et de pureté, qui se prête à un traitement néoclassique plutôt que le désordre romantique de la nature sauvage.


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Ophelia, 1889, John William Waterhouse


Dans tous les cas, Le jardin de mon curé , le premier parfum de Jacques Guerlain, rappelle les petits jardins, où l’on plantait légumes, fleurs et herbes aromatiques très à la mode au début du siècle dernier, ce qui explique, en partie, pourquoi que Jacques Guerlain, issu de la haute bourgeoisie, en est toujours possédé un. L’autre raison était qu’il voulait des parcelles de terre, au-delà de l’Arc de Triomphe, sur les actuels Champs Élysées, afin de contrôler la qualité des ingrédients entrant dans ses parfums.


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Vue des Champs Élysées en 1860

Après l’ondée, plus romantique et moins monastique, a inspiré toutes sortes d’œuvres, réinterprétant ses notes d’héliotropine, de violette ou d’anis, voire la nature terreuse de l’extrait ou aqueuse de l’EDT, sans pour autant retourner aux odeurs d’herbes aromatiques des jardins d’antan. Car les premiers parfums de Guerlain rappelaient la végétation de jardins aujourd’hui oubliés dans la culture citadine.


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Jardin de St Haon le Châtel


Depuis le Moyen-Âge, il existe, en effet, des jardins campagnards qui ont de multiples fonctions : ils servent de potagers, de vergers et de lieu d’agrément. Seule la noblesse possédait autrefois des jardins dédiés au seul loisir, bien que les vergers, considérés comme la forme idéale du jardin, en faisaient parti. Habités en continuité avec la demeure, les jardins étaient des lieux de vie où se déroulaient les amours, les rencontres et les jeux et même les bains.


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Tapisserie de la vie seigneuriale : le bain


Mais tous les jardins, quels qu’ils fussent, étaient clos, et, généralement de forme carré, parce que le quatre était considéré comme un chiffre parfait, du au nombre des évangiles, des éléments et des saisons. Le jardin d’Éden était encore plus parfait car tout y poussait sans le travail de l’homme : il avait donc une forme circulaire.


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Jardin d’Éden


Au 17ème siècle, tout changea. En effet, les jardins furent décloisonnés afin d’être dessiné sur le modèle suivant dit ’à la française’ : une terrasse surélevée d’où on voit un jardin qui s’ordonne symétriquement autour d’un seul axe avec un plan d’eau au fond. Ainsi le jardin servait d’écrin à la demeure.


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Jardin du Palais de Versailles


Ce n’est pas un hasard si l’architecte André le Nôtre et le jardin de Versailles sont emblématiques de ce type de jardin conçu sur un modèle symétrique, qui changea radicalement notre façon d’envisager cet espace. Ces jardins néoclassiques, hérités du 17ème siècle, inspirent des parfums tels les Jardins de Bagatelle conçu, par Jean-Paul Guerlain, comme un retour à la nature.


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La roseraie du Jardin de Bagatelle


En général, ces jardins étaient conçus afin d’être contemplés à partie de la terrasse du château, avant une promenade au travers des parterres fleuris jusqu’au plan d’eau situé en bas. Parallèlement, en parfumerie, la pyramide olfactive peut donner cet effet d’une vue plongeante, en partent de notes de tête légères, comme celles de l’air qu’on respire de la terrasse, en poursuivant au travers d’un cœur floral où l’on déambule jusqu’au bout représenté par des notes de fond boisées, résineuses ou animales. A mon sens, le parfum doit rester lumineux et ensoleillé comme ces larges allées et grands espaces dégagés des jardins à la française.


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Jardin de Vilandry


Vers la fin du 17ème siècle, cependant, les Anglais rejetèrent ce modèle symétrique, en partie à cause des lettres de Jésuites, décrivant la beauté asymétrique des jardins chinois, et en partie, dans la mouvance de la Révolution Glorieuse de 1688, qui, en bannissant l’absolutisme, prenait ses distances avec la culture française.


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Jardin à l’anglaise


William Kent (1635-1748), le concepteur des jardins à l’anglaise, était peintre non architecte. Plus sensible aux accords des coloris et des matières végétales, il imposa la variété à la place de l’équilibre sur une ligne droite. Au contraire, il dessina des chemins sinueux ouvrant sur des points de vue d’où un élément remarquable de la nature était mis en valeur.


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Point de vue remarquable, jardin chinois

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Point de vue remarquable, jardin anglais de Stourhead bridge


Inspirés par une même démarche, les parfumeurs recherchent eux aussi un rendu naturel au travers d’un (ou plusieurs) trait(s) remarquable(s) qui caractérise(ent) tel ou tel jardin. Par exemple, Jean-Claude Ellena choisit la mangue verte pour Un Jardin sur le Nil, évitant ainsi de tomber dans le cliché oriental des senteurs lourdes et entêtantes. Une promenade dans un jardin égyptien lui suggéra d’adopter ce point de vue tant cette odeur lui parût saillante.


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Manguier et jardin de l’auberge de Warang sous les manguiers


Les jardins d’extrême Orient, quant à eux, offrent de nouvelles perspectives, puisqu’ils marient le végétal, le minéral et le floral, de façon à rappeler l’essence du Nirvana et représentent l’univers à petite échelle avec son équilibre des forces naturelles. Les décrire ouvre donc la perspective d’ajouter des notes minérales et surtout de raconter l’histoire d’une redécouverte de la nature toute entière dont le jardin est une miniaturisation.


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Inspiration du Jardin de Monsieur Li, de Hermès


Le parfums dont le thème est le jardin permettent aussi bien de se promener et de voyager que de remonter dans le temps. Par exemple, Jardin du poète d’Eau d’Italie nous transporte en Sicile à l’époque révolue où elle était gouvernée par les Grecs, qui se délassaient dans des jardins contenant des vergers et des potagers.


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Francesca Alozi, Allée de pamplemoussiers dans un jardin sicilien


Aussi ce parfum raconte-t-il Syracuse, à l’époque classique, avec ses jardins parfumés d’agrumes et de plantes aromatiques. En s’y promenant par l’intermédiaire des fragrances qui s’en inspirent, nous comprenons que tous les jardins ont leur histoire et raison d’être. Le temps et l’espace se mêlent dans ces lieux paradisiaques tous emprunts d’une certaine vision de la beauté de la nature et des moments de bonheur qu’elle nous accorde.



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Francesca Alozi, Jardin sicilien vu à travers de branches de strelitzia



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