Garden of pleasures de Teone Reinthal : Jardins de chair

lundi 9 décembre 2019
par  Lavinia

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Garden of Pleasures de Teone Reinthal (#trnp)



Garden of pleasures, lancé en 2019, s’inspire de l’amour physique, qui, comme le dit si bien Serge Gainsbourg, est sans issue. Dans Jacques, sorti la même année, Teone Reinthal nous livre sa réinterprétation de Shalimar, sous forme d’un parfum naturel. Elle se penche sur le jardin des amours de Shâh Jahân et d’Arjumand Bânu Begam, appelée Mumtaz Mahal, par son époux, un surnom qui se traduit du perse comme signifiant ‘la lumière du palais’.



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Portrait imaginaire de Mumtaz Mahal (17ème siècle)



Dans le Shalimar de Guerlain, figuraient, pour moi, les trois terrasses du jardin, avec ses vastes pièces d’eau et cascades, ainsi que les riches parures de Mumtaz Mahal dont l’empereur moghol entourait d’un luxe sans pareil dans l’histoire de l’Inde.



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Jardins de Shalimar (higglu.com)



D’un côté, la fraîche bergamote représentaient les bassins, de l’autre, la vanille et l’ambre, l’arrivée de l’impératrice, le visage voilé, parée de ses atours et parfums somptueux. Teone Reinthal a très justement appelé ce parfum Jacques. Car celui-ci s’est mis à la place de l’homme qui attend l’apparition de sa bien-aimée et de ceux qui la voient passer.



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Shâh Jahân (date inconnue)



Cependant, dans Garden of Pleasures, l’histoire de cette passion légendaire se raconte sous un autre angle – celui des corps mêlés, car le jardin c’est eux, la senteur des chutes d’eau et des fleurs flottant au-dessus de la belle en émoi et de l’empereur tout juste descendu de cheval, peut-être sous quelque arcade.



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Jardins de Shalimar (slideshare.com)



C’est ainsi du moins que débute le parfum : deux ouds très distincts se rencontrent, l’un très puissant, sentant la sueur et le cuir, l’autre plus doux et constant. Aussi l’oud vietnamien sert-il de fond sur lequel des notes d’oud indien se détachent, comme s’il y avait là un corps à corps, dans un jardin tropical, invisible de nuit, d’où nous parviennent les odeurs des fleurs, les bois et des animaux, pour peu que nous nous mettions au diapason de l’obscurité, de la lune et des étoiles.



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Tableau Moghol érotique (17ème siècle)



Car une fois accoutumés au jeu des deux ouds, en surplomb, plane l’odeur des fleurs de frangipanier, entêtante et fruitée, ainsi que les notes aromatiques du champaca. Leurs parfums chaleureux prennent d’abord le dessus, puis les ouds percent au travers.



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Champaca (picclick.com)



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Fleur de frangipanier (animals.sandiegozoo.org.com)



L’oud Hindi, qui représente l’empereur Shâh Jahân, rentre en scène de façon particulièrement perçante avec ses relents d’écurie et de basse-court. Il atteint, toutefois, un certain équilibre avec l’oud vietnamien, qui se manifeste avec constance, rappelant à la fois la verdeur des plantes et la fourrure soyeuse des bêtes. Progressivement, l’oud de Shâh Jahân s’adoucit avec des notes musquées et mielleuses qui se dessinent par-delà sa noire animalité. Deux corps s’enlacent ; leurs sueurs se mêlent ; il y a alternance entre les deux ouds.



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Oud Hindi (preoud.com)



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Oud Vietnamien (pinterest.com)



Pourtant il s’installe aussi une succession entre les ouds et les fleurs, prenant tour à tour le devant de la scène. On pourrait croire, en effet, que les deux ouds, encadrés de surcroît, par du bois de santal, supplanteraient les notes florales, mais ce serait sans compter avec la senteur étrange et exotique du lotus blanc, dont la densité avec son côté sombre de terre aqueuse, presque vaseuse, s’allie avec les notes de champignonnière que dégage aussi l’oud.



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Lotus blanc (pixnio.com)



Cependant, le lotus s’ouvre progressivement, comme pétale par pétale, sur un cœur floral et presque poudré. A la fois sucré et subtil, il réconcilie fraîcheur et exotisme. Les lourdes fleurs tropicales viennent se miroiter dans son chatoiement de notes contrastées, mais toujours riches, profondes. Et les facettes narcotiques et fruitées des fleurs s’envolent, puis retombent, voilées par des effluves de vase, de champignons et de bois humides.



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Jardin de lotus (commons.wikimedia.org)



Vers la fin, Garden of Pleasures s’apaise, devient plus linéaire, comme si la nuit était entièrement tombée sur les deux amants, qui se reposent dans l’obscurité. L’oud reste omniprésent, mais le parfum prend un tour ambré et, marqué par le lotus, retient jusqu’au bout sa fraîcheur de parc d’eau constellé de fleurs.



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Jardins de Shalimar la nuit (shutterstock.com)



Avec l’animalité des ouds et du bois de santal, Garden of Pleasures nous invite à nous lover dans l’odeur des corps, sublimée par les fleurs des tropiques, tout en levant le regard vers le ciel étoilé. Il y a là tous les éléments de l’univers réunis. Cet espace clos du jardin, abritant des rencontres intimes, prend alors la dimension du chemin que nous traversons tous, livrés aux forces aveugles de la nature – la planète Terre, mystérieuse, où le sang et l’amour, la sueur et la sensualité vont ensemble.



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Un prince offrant du vin à sa princesse, période Moghol (1740)



La fin tragique de Mumtaz Mahal, qui mourut d’une hémorragie après la naissance de son quatorzième enfant, plane aussi, avec les fleurs dans l’ombre, sur les plaisirs de la chair. Si on en croit Héraclite d’Éphèse : « Les contraires s’accordent et la discordance crée la plus belle harmonie. » ou encore « Le chemin vers le haut et le chemin vers le bas est le même. »



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Tableau Moghol floral et érotique (pinterest.com)



Pour conclure, je dirai que Garden of Pleasures possède une harmonie cachée plus obscure, mais aussi plus vraie, que l’harmonie apparente des accords convenus. C’est un parfum qui se porte en toute saison, mais il s’ouvre le mieux le soir l’été, lorsque la fleur de frangipanier et de champaca, ainsi que le lotus, expriment toute la finesse de leurs effluves.



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Lotus blanc (pixnio.com)



Cependant, l’oud, le bois de santal et l’odeur puissante des fleurs convient aussi par des journées plus froides. Élégant et sophistiqué, Garden of Pleasures mérite d’être porté avec une tenue semblable. Même s’il n’a pas un sillage monstrueux, ce n’est pas un parfum pour tout le monde. Il faut aimer l’oud et l’inattendu.



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Tableau érotique, style Moghol



Notes : Oud Indien, Oud Vietnamien, Champaca, Fleur de Frangipanier, Lotus Blanc, Santal de Mysore et Ambre