Paris : Un grand duo de roses et de violettes

vendredi 8 septembre 2017
par  Lavinia

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Paris (EDT) (Vintage 1992)



Un bouquet de roses dans les années 80 risquait de paraître désuet et ennuyeux à côté des parfums opulents qui marquèrent l’époque et dont Opium, la précédente production d’Yves Saint Laurent, n’était pas des moindre. Cependant Paris n’est pas de cette trempe : il s’agit d’un bouquet de fleurs plus grand que nature où rayonnent des roses rouges, éclatantes de joie, malgré la couleur rose pâle désirée par l’équipe de marketing. Mais qui décide de la couleur des roses ?


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Renoir, Roses rouges



Pour ce parfum de 1983, Yves Saint Laurent avait voulu rendre hommage aux tons pastels de Paris avec ses ciels bleu-gris ainsi qu’aux amours qu’abritent ses toits bleu-ardoise. Mais son nez, Sophia Grojsman, fascinée par Nahéma, associa-t-elle, comme l’avait fait Jean-Paul Guerlain, des damascones avec les absolues de rose : « C’était comme être plongée au cœur d’une énorme rose rouge », disait-elle admirativement de Nahéma. Il est vrai qu’une overdose de damascones donne une note profonde aux roses plutôt associées au rouge ou, du moins, à une rose en technicolor d’une couleur très soutenue.


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Paris Affiche publicitaire des années 90s



Cependant, Paris a un tout autre caractère que Nahéma. Le parfum de Jean-Paul Guerlain est une vision épurée de la rose sur les lignes du Boléro de Ravel qui ne contient qu’un seul mouvement et se veut mécanique, sans contrastes, ni virtuosité aucune. Paris, au contraire, se compose d’une profusion de fleurs fraîches et rayonnantes réunies pour célébrer la rose.


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Renoir, Roses dans un vase, (1914)



De plus, celle-ci n’est pas simplement rosée, car elle s’empare de toutes nuances d’un énorme bouquet de fleurs coupées. Le mimosa, en note de tête, et l’iris avec l’héliotrope, en note de fond, la rendent poudrée à souhait ; le géranium ajoute une touche de vert et d’amertume ; la bergamote renforce son côté citronné ; la feuille de cassis rappelle son aspect gourmand et confituré ; le néroli apporte de la fraîcheur.


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Bouquet de mimosa et de rose



Comme dans Nahéma, la rose de Paris est donc augmentée, mais pas de la même façon. Alors que Nahémainsiste sur un petit nombre de notes jouées avec une ampleur grandissante, Paris regroupe un grand nombre de notes qui glorifient toutes les facettes de la rose.


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Chagall, La femme et les roses, (1929)



Aussi Paris ne suit pas le chemin tracé par Jean-Paul Guerlain : « Je voulais qu’une rose répète inlassablement son thème, une rose, une rose, une rose… », non, Paris joue la carte du bouquet qui rassemble une grande multiplicité de notes de fleurs, impossible, pour la plupart, à distinguer du tout, mais donnant un rendu cosmétique, poudré et ultra féminin, nullement minimaliste, jouant la note pour la note, non pour contribuer à l’effervescence générale.


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Bouquet de roses et d’iris



Il y a trois moments distincts dans Paris dont la pyramide olfactive est somme toute classique : d’abord une explosion de notes fraîches ; puis un cœur fleuri ; enfin un fond légèrement exotique de bois de santal et d’ambre. Mais ces notes de fond restent lointaines. En effet, les notes de tête ouvrent le bal avec un orchestre jouant à plein volume et les notes cœur se révèlent si grandioses que les muscs propres et la base de bois de santal et d’ambre se font oublier dans l’effervescence des notes de fleurs artificielles, marquées par une overdose de damascones contenant à la fois des damascénones et des ionones. Juxtaposés avec les autres notes du parfum, ces cétones de rose produisent un sillage monstrueux et même la timide violette, en fait les ionones, s’avance masquée, drapée de l’odeur des roses.


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Violette



Est-ce là le fin mot de Paris ? Un parfum d’un grand romantisme qui incarne le plus énorme bouquet de roses jamais vu. Mais alors pourquoi ne pas l’assimiler à un soliflore, du moins à un portrait de rose ? Dans son entretien pour Parfums de légende, Sophie Grosjman raconte que « Paris commença d’après une idée d’Après l’Ondée. »


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Bouquet de mimosas, de violettes et de roses



Alors, pour le rendre plus jeune, elle ne retint pas certains de ses ingrédients et travailla les notes de rose autour de « la violette crémeuse » du parfum de Guerlain. En regardant les notes de Paris, on s’aperçoit, en effet, qu’il contient l’accord violette/iris/héliotrope, qui donne à cette œuvre une certaine nostalgie nostalgie. De plus, l’aubépine, en note d’ouverture, se reconstitue avec l’anis si caractéristique D’Après l’Ondée, et on la sent remarquablement bien dans Paris, surtout sur mouillette.


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Aubépines roses



Deux conséquences s’en dégagent. Premièrement, la violette accentue l’odeur de rose et vice versa. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, en Afrique du nord, on mélange depuis longtemps les roses et les violettes séchées. On peut ainsi considérer que Paris est essentiellement un grand duo de roses et de violettes, tant les damascones et les ionones, issues de la même famille chimique, nommée ‘rose kétones’ par les anglophones, se complètent parfaitement. La senteur des deux fleurs s’en trouve décuplée, tant et si bien que les roses augmentent de volume ou les violettes se travestissent en roses en costumes de carnaval.


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Bouquet de roses et de violettes



Deuxièmement, le romantisme de Paris gagne en profondeur. Paris ne rappelle pas uniquement l’élan spontané de l’homme qui offre un bouquet de fleurs à la femme aimée. Bien qu’il s’agisse de l’un des parfums qui exprime au mieux la joie, Paris contient en filigrane l’accord violette/iris/héliotrope porteur du blues et de la pâle mélancolie de l’amoureux délaissé.


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Héliotropes rose violacé



Le romantisme, en effet, a deux faces : les joies de l’amour dans l’euphorie de la passion et la tristesse du désamour alimentée par la nostalgie des bonheurs passés ; l’effervescence des temps forts et le vide des temps faibles. La beauté de Paris vient du fait qu’elle est touchée en plein cœur par la grâce mélancolique D’Après l’Ondée. La passion romantique dans toute sa splendeur porte toujours en creux une douce tristesse : le pressentiment que rien de si fort ne dure éternellement et que cette plénitude ne sera un jour qu’un souvenir fantomatique.


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John Everett Millais, Ophélie



C’est pourquoi Paris est une symphonie romantique. Si Nahéma a été modelé sur le rythme incantatoire du Boléro de Ravel et Après l’Ondée ressemble aux modulations émotives de Debussy, Paris me rappelle la première symphonie de Mahler, surnommée Le Titan, avec son motif de fanfare, son côté populaire, énergique et triomphal, mais aussi sa marche funèbre jetant une ombre sur tant de félicité. A la fois romantiques et juste ce qu’il faut de vulgaire et d’insensé, Mahler et Grojsman vont bien ensemble. Quelque part aussi Paris avec ses roses gigantesques tient de L’Ode à la joie de Beethoven, ce fameux quatrième mouvement d’une symphonie si monumentale que Wagner voyait en elle la dernière des symphonies. Car quelque part Paris est le dernier parfum d’un certain style : on ne saurait faire un bouquet plus grandiose qui respire le pur ravissement de se savoir aimé et, d’ailleurs, personne ne s’y est essayé.


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Renoir, Bouquet de roses (1890-1900)



Notes de tête :

Mimosa, Géranium, Bergamote, Aubépine, Genièvre


Notes de cœur :

Rose de Damas, Rose de Mai, Violette


Notes de fond :

Héliotrope, Iris, Ambre, Santal, Musc



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Paris (EDT) (version actuelle)


Paris est encore Paris, mais il faut le dire vite. Car si l’eau de toilette est reconnaissable, elle a énormément perdu de sa vigueur. Il se s’agit plus, en effet, d’un parfum puissant qu’il faut éviter d’appliquer généreusement. L’énorme bouquet de roses se réduit à quelques fleurs comme si l’amant était victime d’une quelconque crise économique.


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Petit bouquet de roses artificielles



Dans tous les cas, ce geste qu’évoquait Paris avec son caractère démesuré est devenu bien moins éloquent. Du coup, la violette reprend son caractère timide et l’expose au grand jour : elle danse toujours avec les roses, mais elle a quitté ses habits de carnaval et ne se mêle pas vraiment avec elles. En fait, tout se passe comme si l’accord violette, inspiré par Après l’Ondée, avait fini par l’emporter sur les roses titanesques de Grojsman.


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Violettes après la pluie



Paris n’en reste pas moins une eau de toilette agréable et éminemment mettable. On sent encore l’aubépine et le mimosa, mais la fleur d’oranger marque bien plus l’ouverture de l’eau de toilette. Les notes de fond n’apparaissent aussi fleuries, mais plutôt boisés. Je suppose que l’héliotrope ou l’iris, soit l’une, soit l’autre, soit les deux, composent encore la facette poudrée de Paris, puisque le site d’YSL parfums annoncent une poudre florale. Toutefois, Paris n’est plus aussi intensément rosé de bout en bout, ni aussi complètement floral et excessif, malgré sa célèbre affiche si prometteuse.


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Paris Affiche publicitaire



C’est donc là où le bas blesse. Car, sans ses roses innombrables, Paris a perdu son sillage monstrueux et la démesure qui faisait son charme si particulier. Même au cœur du parfum, les roses prennent aujourd’hui des tons pastels, non vifs et éclatants. Au bout du compte, le rendu semble bien pâle, car Paris reste dénué de l’extrême finesse d’Après l’Ondée qui lui donnaient la beauté d’une aquarelle et la poésie d’une musique fluide de Debussy. Sans être un grand parfum, la version actuelle de l’EDT de Paris vaut toutefois la peine d’être essayé. On peut le porter en toutes saisons car Paris n’a rien d’agressif, mais il ne tient pas longtemps. En outre, il manque intérêt alors que d’autres parfums à la rose font preuve plus de caractère.


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Magritte, Main de gloire



Les notes données par la maison YSL parfums sont les suivantes :

Poudre florale

Violette

Fleur d’oranger

Rose de mai


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