Avril en fleurs de Guerlain : L’air du printemps

vendredi 21 avril 2017
par  Lavinia

Plus aucune information ne semble disponible sur Avril en Fleurs, lancé en 1905, et disparu depuis longtemps. Il ne me reste donc plus qu’à jouer à un jeu de devinettes quand aux notes qui composent ce merveilleux parfum. Je le ferai plus loin. Mais, à vrai dire, l’intérêt principal de parfum n’est pas qu’il contienne une délicieuse note de telle ou telle fleur, mais plutôt qu’il rend à merveille la senteur de l’air au mois d’avril.



Pommier en fleurs

Sachant que Jacques Guerlain observait la nature de près, j’écris cet article à la mi-avril pour tâcher de comprendre sa pensée. Le fond de l’air, encore un peu froid, est chargé d’une odeur de petites fleurs blanches et d’herbe coupée. Le vent les emporte et les brasse si bien qu’elle m’arrive comme un mélange caractéristique dont les éléments ne se distinguent plus nettement. Le rendu est à la fois clair et indistinct.



Monet, Le printemps à travers les branches, (1886)

Il n’y a là que des senteurs pures et légères : rien d’entêtant comme le jasmin ou la tubéreuse. Or Avril en Fleurs, fidèle à ce tableau, évoque surtout les fleurs blanches, teintées de rose pâle, qui apparaissent au début du printemps. Sa grande originalité consiste donc à se détourner de ces notes indoliques et animales, qui dominent presque tous les autres parfums aux fleurs blanches, et empêchent les notes plus subtiles d’émerger.



Fleurs de pommier

Aussi Avril en Fleurs donne une impression aérienne de transparence et de fraîcheur. Il s’agit d’une vision floutée et lumineuse, comme celle que fit Monet de son épouse défunte, un jour de promenade, alors qu’il se retournait pour tenter d’apercevoir sa fille à la traîne.



Monet, Jeune fille à l’ombrelle tournée vers la gauche, (1886)

Pendant le mois d’avril, les arbres fruitiers et les buissons de fleurs, évoqués par le nom du parfum, embaument l’air de façon délicate. Au sol, de minuscules fleurs apportent une odeur de miel doux, non point épais et lourdement sucré, mais dilué dans le souffle léger d’une brise froide. Avril en Fleurs pourrait être dédié à Marcel Proust, qui commença, un an plus tard, en 1906, son roman À la recherche du temps perdu, où il décrit amoureusement les promenades, faites au printemps et en été, dans la région de Chartres, où il passait ses vacances, attentif aux particularités de chaque saison.



Le chemin de Méséglise avec ses haies d’aubépines emprunté par Marcel Proust

Mais lorsque le narrateur d’À la recherche du temps perdu, commence à se perdre, en fréquentant le monde, il y trouve des fleurs bien artificielles comparées à la simplicité de celles de Combray : les orchidées rares et les chrysanthèmes, tels de la soie ou du satin, ornant le salon de Madame Swann. Avril en Fleurs rattrape le temps perdu en vaines mondanités, parce qu’il ne donne pas un sillage sophistiqué aux femmes élégantes, mais prend le chemin de la campagne et du plein air.



Monet, La promenade, (1875)

Mais commençons par le début. Comment Guerlain dépeint-il les fleurs du mois d’Avril ? Les notes de tête de son parfum mélangent le citron avec une fleur d’oranger très propre et peut-être de la verveine. Cela donne la même impression de fraîcheur qui nous envahit immédiatement, en sortant, un jour de printemps. Puis on prend conscience de la senteur délicate des pommiers, des haies fleuries, des herbes sauvages et des petites fleurs qui poussent çà et là.



Branche de pommier en fleurs

Aussi, dans le parfum, la fleur d’oranger s’associe rapidement à des notes de fleurs de pommier, fraîches et fleuries, puis à celles du poirier, plus complexes et plus vertes. Dans la nature, l’odeur des fleurs de pommier ressemble à celle du muguet, de la violette ou de la camomille. Pour moi, l’accord du parfum se rapproche plus de la camomille avec ses nuances vertes, ainsi que d’un lilas pourpre, trempé par la pluie, en partie recréé avec une rose discrète, qui persiste, néanmoins, jusque dans les notes de fond.



Camomille sauvage

Lilas pourpres après la pluie

Dès le départ, on sent aussi la facette légèrement épicée d’un narcisse plein d’arômes. Son effet piquant dure du début jusqu’à la fin de l’évaporation du parfum. On l’imagine alors un peu partout dans les jardins, dans les champs et dans les bois. Est-ce un narcisse du poète ou de la jonquille, un peu plus verte, symbole, pour beaucoup, de l’arrivée des beaux jours ?

Jonquilles dans le sous-bois

Impossible de savoir : Avril en Fleurs imite justement toutes les senteurs de ce mois que l’on ne distingue pas nettement dans l’air frais.



Monet, Un verger au printemps, (1886)

Il y a là aussi une note d’aubépine, attribuable à une petite touche d’aldéhyde anisique. C’est tout le côté de Méséglise ou de chez Swann, tel que Proust le décrit dans Combray, au tout début d’À la Recherche du temps perdu, avec ses senteurs de lilas, de pommiers et surtout d’aubépines, les fleurs préférées de l’auteur.



Fleurs d’aubépine

En note de fond, l’héliotropine donne une facette poudrée, vanillée et amandée au parfum. Elle est associée à un musc très doux, accompagné de tonka et de racine d’iris, faisant tous écho à sa tonalité propre qui se prolonge indéfiniment.



Héliotrope

Avril en Fleurs a un rendu intemporel, à la fois frais et poudré, vert et fleuri, délicat et tenace. A l’aveugle, personne ne remarque jamais qu’il s’agit d’un vieux parfum en raison de son caractère diaphane, proche d’Héliotrope 000. Mais Avril en Fleurs est bien plus complexe et, surtout, étonnant de naturel, comme les roses sauvages toute simples qui poussent au bords des sentiers et dans les jardins abandonnés.



Roses sauvages

Jacques Guerlain raconte le début de la floraison printanière de manière simple et élégante. Au résultat, Avril en Fleurs se porte donc très facilement. C’est un parfum sans chichis que je préfère au printemps, du mois d’avril à début juin, parce qu’il donne alors l’impression d’être en harmonie avec la nature qui renaît.



Francesco del Cossa, Triomphe de Vénus, (1470)

Pour ceux qui aiment un petit rappel du printemps, pendant la morte saison, il conviendrait parfaitement l’hiver. Mais, quels que soient nos goûts, Avril en Fleurs mérite d’être senti par temps humide. C’est un parfum qui s’ouvrent complètement lorsqu’il pleut à grosses gouttes.



Iris d’avril sous la pluie

Notes de tête :

Citron, Verveine et Fleur d’oranger

Notes de cœur :

Fleurs de pommier, Lilas, Aubépine et Rose

Notes de fond :

Héliotropine, Musc,Tonka, Vanille et Iris


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