Les néoclassiques : Retour vers le futur

samedi 25 mars 2017
par  Lavinia

Pourquoi appeler une catégorie de parfums ‘néoclassique’ ? La définition qu’en donne le petit Larousse de 1980 reste vague : « Tendance artistique et littéraire inspirée de l’Antiquité classique ou du classicisme du 17ème siècle/Tendance au retour à un certain classicisme par rapport aux audaces d’une période antérieure. » Pour mon mon propos, je relève surtout la deuxième définition, même si je conteste le fait que l’art néoclassique se caractérise par la sévérité et le manque d’audace. A mes yeux, il s’agit, en effet, de redessiner l’espace et le temps avec un classicisme qui puise sa source là où on veut bien le trouver. S’appuyer sur une tradition ne signifie pas s’en tenir à des règles dépassées, mais choisir des thèmes libérant l’artiste d’un mode pensée actuel. Dans cette mesure, l’art néoclassique raconte toujours une histoire.

Dessin d’architecture de Jean Bonna dans l’exposition Une antiquité rêvée

Avant d’adopter l’emploi large de ce concept, il convient, toutefois, d’en comprendre l’origine historique. Le terme de néoclassique a été utilisé pour classer des œuvres d’art très différentes. A l’origine, il désignait une conception de l’architecture, renvoyant à l’antiquité, ainsi que les tableaux peints dans les styles de David et d’Ingres en France, d’Hamilton et de Dance outre-manche, sur une période relativement courte allant de 1760 à 1830. Le point commun entre ces artistes étaient un retour vers la simplicité des lignes gréco-romaines, en réaction contre les couleurs riches et profondes, ainsi que les jeux de lumière chatoyants, prisés pendant la période Baroque. Pour la note, les temples grecs, blanchis par le temps, étaient à l’origine de couleurs vives.

L’église de la Madeleine à Paris

Il y avait là aussi, de la part des français, un rejet total des outrages du Rococo avec son goût pour l’ornementation excessive, jamais parvenu en Grande-Bretagne. Du côté littéraire, les anglais, tels que Milton, Pope et Johnson marquent la postérité plus qu’un Dellile, mais ils suivent peu ou prou les préceptes de Boileau. Ce courant littéraire fut d’ailleurs fustigé par les Romantiques pour son amour de l’ordre et sa source d’inspiration antique, taxés d’académisme stérile et conformiste.

"Le temps a des béquilles comme des ailes il cloche pour quelques-uns tandis qu’il vole pour d’ autres. Les plaisirs sont toujours montés sur ses ailes mais les chagrins plus paresseux marchent lentement avec lui." Maximes et réflexions morales, Alexander Pope.


Cette utilisation péjorative du terme est parvenue jusqu’à nos jours. Lorsque des compositeurs tels que Stravinski, Prokofiev, Ravel et Hindemith, ont renoué avec l’écriture harmonique et contrapuntique, ce procédé fut dénoncé de deux points de vue : artistique et politique. Tout réapparition, même temporaire, d’une tonalité ou d’une modalité trop marquée, se confond avec le refus de l’écriture atonale seule porteuse de modernité. De là, il ne reste plus qu’un pas pour lancer l’accusation d’un retour à l’ordre établi. En 1970, de nouveau, le terme de néoclassique émergea dans la presse afin de condamner les chorégraphies de Roland Petit, Serge Lifar ou de Maurice Béjar, qui, suivant la tradition des Ballets russes de Diaghilev, réinventaient le langage de la danse classique, en exigeant de leurs danseurs une excellence technique et privilégiaient l’expressivité plutôt que virtuosité et brio. Leur grand tort était surtout de ne pas faire de la danse contemporaine.

La danseuse décale son poids vers l’avant au lieu de se tenir sur une jambe droite comme il était de mise en danse classique. Les articulations cassées des poignets sont aussi l’effet d’une modernisation.

L’assimilation de tout retour aux sources avec une politique réactionnaire s’avère, pourtant, hautement contestable pour trois raisons. Premièrement, la peinture néoclassique rejeta le courant baroque, jugé aristocratique, en faveur de la révolution française, qui, elle aussi, avaient pris la Rome républicaine pour modèle. David, le chef de file des peintres néoclassiques, peint Napoléon en Empereur Romain, mais celui-ci était perçu comme le défenseur de la révolution. Ingres, autre figure majeure du néoclassicisme, fit le portrait de Caroline Rivière, repris par Larry Rivers, artiste Pop, délaissant sa critique de la culture de masse américaine pour rendre hommage à cet artiste. Est-ce donc en raison du conformisme de son œuvre ?

Mademoiselle Rivière d’Ingres, 1806

I love Ingres, a copy, Larry Rivers

Deuxièmement, certains compositeurs avant-gardistes, comme Stravinsky, Ravel et Debussy, sont passés par une période néoclassique. Il en va de même pour Picasso et Schoenberg dont l’œuvre se situe généralement en rupture avec la tradition. Serait-il donc pertinent d’affirmer que ces partisans du désordre créatif se sont rangés, dans un moment d’égarement, du côté de l’ordre et du conformisme, après le traumatisme de la Grande Guerre ? Troisièmement, tous les artistes se tournent vers des sources d’inspiration très diverses dans la volonté d’en faire autre chose, non de les recopier. Or justement, à considérer les œuvres dites néoclassiques, n’y voit-on pas un traitement original de la matière historique ?

Portrait d’Olga, de Picasso, 1921. Ingres plutôt que l’antiquité ?

Envisagé ainsi, le néoclassicisme se conçoit comme un retour sur une œuvre passée, choisie en vue d’une réinterprétation possible, d’une histoire à raconter. Ainsi les lignes pures d’un style devenu classique se dégagent d’un passé imaginaire et s’inscrivent dans une vision de la modernité, à contrecourant des modes contraignantes. L’artiste s’en sert afin de parvenir à plus de simplicité, voire à un dépouillement allant jusqu’au minimalisme. En prime, il n’est plus tenu de se conformer aux diktats de la modernité : être original et faire quelque chose de neuf à tout prix. Je ne mâche pas mes mots : il s’agit bien là d’un diktat.

Œdipe explique l’énigme du sphinx, d’Ingres, 1808.

Pour ne donner qu’un exemple, dans les années 80, le chorégraphe Jean-Christophe Maillot souffrit énormément cette forme de pensée unique. Sans parler de tous les artistes, rejetés par les institutions, sous prétexte que leur œuvre rappelle un classicisme dépassé. Comme le disait Sweig de la période d’après-guerre : « Partout on proscrivait l’élément intelligible, la mélodie en musique, la clarté dans le langage. » Et j’ajouterai la narration dans l’écriture. Mais de quel droit condamner une forme d’expression artistique au nom de son caractère lisible, jugé naïf et désuet, parce que dénué de la difficulté supposée inhérente aux grandes œuvres ?

Choré, de Jean-Christophe Maillot, 2013, La Compagnie des Ballets de Monaco.

En parfumerie, lorsque le figuratif devint ringard, l’abstraction fut aussi érigée en dictat. Qui plus est, dans les années 80, un marketing agressif et cher se rendit nécessaire pour vendre un parfum au niveau mondial. Or les parfums les mieux vendus, à l’époque, épataient par des accords multiples et une puissance de diffusion allant de pair avec l’abstraction et la complexité ornementale.

Campagne pour Opium

En parallèle, cependant, les niches, comme Diptyque (1961), The Perfumer’s Workshop (1971) et L’Artisan Parfumeur (1976) avaient déjà commencé à explorer d’autres voies d’inspiration, comme le recours à des ingrédients et des sujets plus proches de la nature. La prolifération de niches continue. Les parfums de Frédéric Malle (2000), Serge Lutens (2000), Parfums d’Empire (2002) en sont quelques exemples parmi d’autres. A vrai dire, la lutte se poursuit sur deux fronts : d’une part, la quête d’une harmonie plus simple revisitée avec des matières premières de qualité ; d’autre part, la revendication, qu’illustre très bien État libre d’Orange (2006), de verser dans le flamboyant et l’excessif. Une maison de parfum peut, bien entendu, soutenir à la fois des créations baroques et néoclassiques.

Isadora Duncan puise son inspiration dans l’antiquité, privilégie le geste libre, rejette pointes et corsets, mais ne craint pas l’excès.

Bacchus et Ariane, Serge Lifar

Ainsi tout semble opposer les parfums baroques et cette quête d’un certaine calme. Il n’en reste pas moins qu’un trait d’union existe entre les deux démarches : le refus de faire des parfums, tous lisibles de la même façon, tel un scénario hollywoodien, parce qu’ils utilisent des recettes avec une palette restreinte et puisent leur inspiration dans un cahier de charge. Les passage obligés et les compositions timorées ne fonctionnent, en effet, ni pour les parfumeurs adeptes de la démesure et des coups d’éclats, ni pour ceux en quête de naturel et d’authenticité. Ces derniers cherchent le point d’équilibre entre tradition et modernité, qui se situe ailleurs que dans le calcul du risque commercial le plus faible et du meilleur rendement possible.

Le Lac de Jean-Christophe Maillot

Dès les années 90, les grandes marques ont emprunté le pas aux niches. Les temps avaient changé. Leur clientèle aspirait à une beauté calme et confiante plutôt qu’imposante et controversée. Voilà pourquoi certains parfums s’apprécient, non uniquement en raison de tel ou tel accord chimique, qui se doit, certes, être réussi, mais aussi fonction de leur traitement simple, direct, évocateur et moderne, de thèmes figuratifs, un temps délaissés par la parfumerie, à cause de l’engouement pour l’abstraction.

Zhang Daqian (1899-1983)

Datant de la fin du 19ème siècle, le concept de la parfumerie comme forme d’art, reste relativement nouveau et nullement acquis. Dans ce contexte, le néoclassicisme ne consiste pas à remonter à l’antiquité, mais à adopter des thèmes narratifs permettant un traitement figuratif, honni par l’avant-garde depuis les années 20. Il y a là aussi une quête de lignes pures, évoquant des expériences réelles avec simplicité, plutôt que le prestige de la marque, défendu à grands renforts d’ornementation.

Le parc du château de Versailles vu à partir du point d’eau de l’arrière plan

Inspirés par l’idée d’un certain retour à la nature et à des ingrédients plus nobles, les parfums néoclassiques renvoient au-delà d’eux-mêmes et de leurs propres qualités olfactives, puisqu’ils prennent le vécu comme référence : une promenade dans un jardin, des vacances au bord de la mer ou un moment à part dans l’existence. Ainsi, les néoclassiques sont essentiellement narratifs et descriptifs. Ils quittent le terrain de l’abstrait et du grandiose, afin de se tourner vers des espaces et des temps propres à la réflexion, parce qu’on a envie d’y faire retour.

Fisherman , Wu Zen, circ 1350

Diverses techniques sont utilisées pour obtenir ce résultat : tout en gardant la structure pyramidale classique, on peut accentuer les notes de fond, redessinant ainsi l’espace et le temps, en créant paysage dans lequel s’expriment les notes de cœur ; à l’inverse, des notes de fond allégées confèrent transparence et légèreté aux notes de cœur, ainsi ralliées aux notes de tête, au proche plutôt qu’au lointain. Le néoclassicisme décrit donc la démarche d’un parfumeur créant des accords équilibrés et inattendus, sans ostentation, de façon travaillée et posée. On atteint, dès lors, la seule simplicité qui soit : celle qui tient du raffinement réfléchi et de la retenue. Voilà comment un parfum en arrive à suggérer les lignes pures des statues, des colonnades et des temples.


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Corinthe, Le Temple d’Apollon

Waterhouse, Le parfum de la rose


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