Samsara de Guerlain : un bouquet de fleurs et de santal

mercredi 11 janvier 2017
par  Lavinia

Samsara EDP

Les premières notes de Samsara sont fabuleuses : une overdose ylang-ylang, bordée de notes vertes, de bergamote, de citron et un peu de pêche pour plus de douceur. On croit rêver d’autant plus que le jasmin et le santal murmurent déjà au loin.

Ylang-ylang

De plus, l’association du santal de Mysore avec le polysantol, loin de noyer le santal dans une odeur grinçante et synthétique, rend le bois plus lumineux, ce qui l’empêche, en outre, de recouvrir les notes de fleurs et de fruits. Le cycle éternel des naissances et des renaissances, désigné par le mot ’Samsara’ en sanskrit, ne relève pas uniquement d’une stratégie commerciale : exploiter le désir d’exotisme et de sérénité marquant la fin des années 80.

Copeaux de santal

Polysantol

Certes, Samsara fut la réponse de Guerlain à la demande des consommateurs, fascinés par le Sud-Est Asiatique, en quête d’une sérénité associée aux parfums de la région indienne, existant depuis l’engouement des hippies pour le patchouli dans les années 60. Le fait de considérer la parfumerie comme un marché lucratif date du début du 20ème siècle, mais dans les années 80, tout se précipite. Point de lancement sans étude de marché, sans briefing, sans mise en concurrence des nez, la création du flacon, bref d’énormes investissements qui devaient être rentabilisés, chose qui n’existait pas de temps de Jacques Guerlain, qui composait un parfum, puis le mettait immédiatement en boutique.

Statue cambodgienne du musée Guimet, l’inspiration de Robert Granaï pour le flacon du parfum

Toutefois, l’évolution de Samsara a bien quelque chose de circulaire dans sa façon d’alterner les notes fraîches, capiteuses et poudrées, sans qu’aucunes ne soient jamais entièrement perdues, mais que toutes réapparaissent sous des formes différentes. Même le citron et la bergamote se transforment en confits et la fraîcheur du citron se fait sentir à nouveau en fin d’évaporation, triomphant de tout. Il faut dire que ces huiles sont d’une excellente qualité et ont été mêlée au santal qui leur prêtent longue vie.

Bergamote

Citron

La clé de voûte du parfum reste, cependant, l’association du santal avec le jasmin et des pétales de rose crémeuses, mais ces fleurs apportent de la nuance à la composition de Jean-Paul Guerlain. Le jasmin indien apporte une note fraîche et rend le santal plus léger. La rose accentue ses notes lactées.

Jasmin indien

De plus, les notes hespéridées et fleuries sont assez nombreuses pour vaincre l’opacité du santal. Le jasmin et l’ylang-ylang étalent leur opulence des fleurs blanches. Elles jouent tout leur répertoire capiteux de senteurs de banane, d’herbes anisés et vertes. La bergamote et le citron, la rose et l’iris sont aussi très présents. Contrairement à ce que je lis ici et là, je ne trouve donc pas que Samsara soit un parfum fort avec un sillage monstrueux. Il s’agit plutôt d’une composition équilibrée, boisée, mais aussi très florale.

Ingrédients : dessert à la banane, à la noix de coco et à l’huile essentielle d’ylang-ylang

La guerlinade traditionnelle, composée autour de la fève tonka, de la vanille, de l’iris, de la rose, et du musc, reste éminemment discernable. C’est pourquoi je ne puis être d’accord avec ceux qui y voient une discontinuité avec les Guerlain classiques. Certes, la stratégie de marketing mondial et la mise en concurrence de Jean-Paul Guerlain avec d’autres nez marquent bien une rupture avec les habitudes de la maison, mais non les notes de fond, discernables dès le cœur du parfum atteint. D’ailleurs la vanille, très en évidence, se fond avec le bois de santal. Elle en accentue le côté crémeux, déjà exalté par la rose, et souligné par le contraste qu’il forme avec le polysantol et les notes hespéridées.

Rose printanière

Vanille

Au résultat, Samsara ne me rappelle nullement les senteurs du sud-est asiatique. Ces notes vertes, fleuries et balsamique en font un parfum romantique, voire, séducteur, les seuls éléments exotiques étant les fleurs de jasmin et d’ylang-ylang. Peut-être ce romantisme découle-t-il de l’histoire, racontée par Jean-Jacques Guerlain, qui dit avoir créé Samsara, peu ou prou, en 1985 pour une femme, nommée Decia, cavalière émérite comme lui, qu’il tentait de séduire. C’est Decia qui lui suggéra l’association simple, mais très belle, du santal et du jasmin.

Collier de jasmin

Branches de santal jeune

A peu de chose près, après deux ans de travail et plus de 300 essais, Samsara, adopté en 1989, resta proche de la fragrance concoctée rapidement pour Decia. Il est vrai que ‘séduire’ suppose qu’on amène quelqu’un ailleurs. En ce sens, comme beaucoup de parfums, Samsara a été conçu dans l’esprit du voyage compris comme le rencontre avec l’autre. De plus, si les investissements énormes requis pour placer le parfum sur le marché concurrentiel de la parfumerie internationale, menèrent Guerlain à se méfier d’une création aussi spontanée, Samsara fut inspiré au départ, par une muse, comme il est de tradition chez Guerlain, non par un briefing sans âme.

Les muses : neuf sœurs fille de Zeus et de Mnémosyne

C’est pourquoi il me semble que Samsara prend place sans peine parmi les Guerlain classiques. Il s’agit d’un parfum chaud et doux avec un sillage digne de ce nom sans être outrancier. Sa composition se compare à une musique créée pour un orchestre sans cuivres ni percussions, tel l’opéra Satyagraha, joué la première fois en 1980.

Satyagraha

Satyagraha signifie l’étreinte (gara) de la vérité (satya). L’opéra est ondé sur la vie de Ghandi et ses trois inspirateurs : Léon Tolstoï qui représente le passé,Tagore, le présent, et King le futur. Le Satyagraha exige non seulement le refus de moyens violents, mais va plus loin encore en cherchant à exclure toute haine, tout ressentiment de l’opprimé à l’encontre de ses oppresseurs. Parallèlement, Samsara évoque un autre combat : celui de la conquête amoureuse d’une femme aimée et admirée.

Manet, La cavalière

Autre parallèle : Satyagraha n’a rien d’exotique, sauf le libretto entièrement écrit en Sanscrit, et peut-être aussi le caractère répétitif de la mélodie, correspondant à notre perception de la musique indienne. Le plus important reste que la mélodie est composée pour un orchestre occidental, et les voix sont groupées en aria, duos, trio et quartet comme dans un opéra occidental classique. C’est pourquoi Satyagrapha fait partie du répertoire classique. Composé dans la tradition occidentale de Guerlain, Samsara se situe lui aussi sans peine parmi les classiques de la maison, qui comporte d’autres parfums évoquant un Orient fantasmé : Shalimar et Djedi.

Fabio Fabbi, Danseuses dans le harem,
vers 1890

Khrisna avec les gopis, gardiennes de vaches entièrement dévouées à lui, pichvai ou tenture du 19ème siècle

Encore s’agit-il toujours de l’Orient, évoqué au travers de formes artistiques occidentales, non d’une collaboration avec les parfumeurs de ces pays lointains. En fait, il existe deux types d’art versant dans l’exotisme : les œuvres qui prennent un thème, voire des matériaux exotiques, mais dont la forme reste strictement occidentale ; et les œuvres hybrides inspirées en partie par les traditions formelles venues d’ailleurs.

Femmes indiennes au marché, tableau hybride de la Compagnie d’Inde

Les deux démarches se valent et ont toutes deux donné des œuvres d’une extrême beauté. L’artiste travaille dans le style qu’il désire. Celui de Jean-Paul Guerlain est à la fois moderne et classique. Cela fonctionne très bien. Le slogan du parfum : ’A l’aube du troisième millénaire, la femme se réincarne en Guerlain’ signifie au moins une chose : l’Orient fantasmé de Guerlain se réincarne en boisé fleuri facile à porter surtout par temps froid.

Tableau de la roue du destin

Notes de tête :

Notes vertes, Pêche , Ylang-ylang, Bergamote et Citron

Notes de cœur :

Violette, Racine d’iris, Jasmin, Rose et Narcissus

Notes de fond  :

Racine d’iris, Bois de santal, Fève de tonka, Ambre, Musc et Vanille


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