Coq d’Or de Guerlain (vintage années 30s) (#lesplusbeauxparfums)

Jacques Guerlain composa Coq d’Or, un beau chypré fruité, vers 1937, pour son ami Serge de Diaghilev. Il confia le flacon à Baccarat, qui le créa en cristal bleu saphir, plaqué or 20 carats, orné d’un fil de soie. Le tout venait dans une boîte en bois de chêne, avec un motif arlequin doré, dessiné par Michel Franck. Discontinué en 1956, Guerlain lança une édition limitée de 29 flacons, en septembre 2014, avec un jus reformulé conformément aux réglementations en vigueur. Mon article porte sur la version des années 30s.

Diaghilev (meandhe.ca)

Quant à Coque d’Or, il s’agit d’un jeu de mots, en clin d’œil à Diaghilev. Au 19^ème siècle, une ‘coque’ signifiait une cravate avec un ou plusieurs nœuds, alors que Diaghilev portait toujours un nœud papillon. Qui plus est, ‘coque’ est un homophone de ‘coq’, ce qui renvoie au chef d’œuvre de Diaghilev, Le Coq d’Or, seul spectacle qui reçut un succès retentissant, pendant la saison un plate de 1914.

Le Coq d’Or en première page

Comme La Bataille de Claude Farrère, qui inspira Mitsouko, Le Coq d’Or a pour thème la guerre Russo-Japonaise de 1905. Mais alors que Mitsouko a quelque chose de tragique, dans sa volonté de se retirer du monde après la mort de son époux, comme le veut la coutume Japonaise, Dodon, le personnage qui incarne le Tsar, relève plutôt de la farce et sa conduite de la guerre critiquée.

Le Tsar Dadon salue obséquieusement la reine Shemakha (illustration d’Ivan Bibilin de 1907)

Costumes dessiné pour Le Coq d’Or par Natalia Goncharova. Dodon apparaît en haut à droite dans l’attitude ridicule qui le caractérise en première page

Au départ, il s’agissait d’un opéra, d’après un libretto écrit par Vladimir Belsky en 1907, qui détournait là un conte féerique de Alexandre Puskin, datant de 1834, afin de moquer de Nicolas II. Mais, avec ses danseurs, Diaghilev en fit un opéra-ballet, composé par Nicholai Rimsky-Korsakov. Natalia Goncharova compléta cette magnificence avec ses décors, à la fois abstrait et lumineux, avant-gardistes et folkloriques. Je crois que Jacques Guerlain, qui aimait tant les arts, fut profondément admiratif.

Décor de Goncharova pour Le Coq d’Or

Diaghilev entouré par les danseurs du Ballet Russe

Quoi qu’il en soit, Le Coq d’Or incarnait le talent de Diaghilev à son apogée, mais l’opéra tomba aussi deux fois dans l’oubli sous le coup du destin. D’abord, interdit en Russie, par qu’il ridiculisait le Tsar, il connût la gloire en France, avant d’être déchu, en raison de son coût, attribuable d’une part, à la démesure d’un spectacle aussi grandiose, et, de l’autre, aux droits d’auteur dus la veuve de Rimsky, à hauteur de 3000 francs par représentation.

Dondon et la reine entourés de l’armée de l’empereur

Costumes de Goncharova pour Le Coq d’Or (cncs.com)

Comme l’opéra-ballet, le parfum de Jacques Guerlain, Coque d’Or, se veut festif, pétillant, riche et raffiné, sur un léger fond d’amertume. La mousse de chêne, en effet, enveloppe les notes de fruits, à la fois douces et étincelantes d’acidité, d’un brin aigreur, qui rend le parfum nostalgique, non du tout amer.

Pêche (fast-growing-tress.com)

Mousse de chêne (possets.com)

En réalité, tout se passe comme si Guerlain avait repris la trame de Mitsouko, qui y apparaît en filigrane, afin d’en faire une version plus sophistiquée et moins sombre, nostalgique plutôt que dramatique. Aussi la fameuse note de pêche de Mitsouko s’accompagne-t-elle ici d’une senteur de prune mûre, ainsi que d’anis et d’épices.

Prune (besthealthmag.ca)

Anis (tinderbox.com.au)

Si la fameuse base de Laire, Prunol, existait déjà vers la fin des années 30s, je parierais que Guerlain s’en est servi, d’où l’impression de fruits secs et confis, que dégage Coque d’Or, ainsi que des relents de pomme mûre associés au patchouli.

Patchouli (123rf.com)

La mousse de chêne, quant à elle, associée à la vanille, et à un musc fruité, ne ressemble plus à la base Laire, Mousse de Saxe, sensée entrer dans la composition de Mitsouko, avec ses accents animaliers.

Vanille (davidvanille.com)

Chevrotin porte-musc (pixels.com)

De plus, la rose ressort aux côtés du clou de girofle, alors que les notes de fleurs restent plus écrasées dans Mitsouko. Plus avant, toute la composition est marquée par un merveilleux jasmin, ensoleillé et fruité, qui pétille comme du champagne, tout au long du développement de Coque d’Or. Il faut dire que dès le départ, les notes de fruits évoquent des vins et des alcools.

Rose (bulgarianroseotto.com)

Jasmin (saga.co.uk)

Comme je l’ai déjà dis par ailleurs, il me semble que la trame de Champagne d’Yves Saint Laurent est contenue dans Mitsouko, seulement on la remarque guère en raison de la puissance de la mousse de chêne. C’est encore plus vrai de Coque d’Or avec ses notes de fruits abondantes, ses fleurs identifiables et se relents de champagne demi-sec !

Flutes de Champagne (invaluable.com)

De plus, l’infini douceur du parfum ne repose pas uniquement sur les fruits, mais aussi sur une remarquable qualité d’orris, très beurré, et des muscs dont l’odeur reste plus proche de celle de la peau, que de quelque chose d’animal. Le tolu balsam et un vétiver fleuri accentuent encore ce raffinement.

orris (amazon.com)

Baume de tolu (plushfolly.com)

Décidément, Coque d’Or me semble convenir tout particulièrement au début de automne avec sa lumière dorée et caressante. Enfin, c’est le moment de l’année où je le porte, souvent le jour de l’équinoxe, bien que je me parfume aussi avec Coque d’Or, lorsque je dois me rendre à une soirée élégante. Pour moi, il s’agit d’un Mitsouko velouté en enveloppant, qui, afin de s’épanouir, à besoin d’une température plus chaude et d’une ambiance de fête.

Goncharova : décor pour Le Coq d’Or

Notes de tête :

Anis, Pêche, Prune, Bergamote, Clou de girofle et Aldéhydes

Notes de cœur :

Jasmin, Œillet, Rose et Orris

Notes de fond :

Mousse de chêne, Vanille, Baume de Tolu, Vétiver, Patchouli et Musc