Chamade de Guerlain, avec mes sentiments les plus intenses

dimanche 8 janvier 2017
par  Lavinia

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Chamade, le parfum


Sorti en 1969, Chamade est souvent classé parmi les aldéhydés floraux ou dans la sous-famille des ambrés fleuris boisés. Pourtant, à mon nez, la clé de voûte de la composition se détecte aisément : la note de bourgeon de cassis, utilisée pour la première fois en parfumerie par Jean-Jacques Guerlain, combinée avec de la jacinthe, font tout de suite impression.

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Bourgeons de cassis


Même si le côté balsamique du parfum apparaît pleinement avec les notes de fond, il ne donne pas son identité au parfum. Quant aux aldéhydes très propres, ils restent peu marquants. Seule ressort l’hédione, un synthétique à base de jasmin, nouveau à l’époque, parce qu’elle apporte la fraîcheur de petites fleurs blanches. Aussi peut-on tranquillement adopter la description du site de Guerlain : « Pour la première fois en parfumerie, Guerlain introduit dans une formule l’accent vert et fruité du bourgeon de cassis, rafraîchi par une harmonie verte de jacinthe. Cette symphonie est enfin sublimée par la Guerlinade, dans laquelle le jasmin, la vanille, et le bois de santal règnent en majesté. »

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Jacinthe


La différence reste que je ne qualifierais pas le parfum de Floral Oriental Vert, mais plutôt de Floral Fruité Vert Résineux, car ce sont les fruits et les fleurs qui dominent. Au départ, il est vrai, on est envahi par une sensation olfactive de notes de bourgeons vertes et acides et de feuilles écrasées, mais une note de jacinthe et de cassis juteux font rapidement leur apparition. Le cassis montre progressivement ses multiples facettes : amer, puis fruité et épicé, enfin soufré, boisé et animal. Au cours du long développement de Chamade, depuis ses bourgeons acides en notes de tête, jusqu’à la note sucrée et épicée de confiture au cœur du parfum et son final boisé, animalisé, le cassis reste présent. On ne saurait donc renier l’âme fruité de cette composition.

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Bourgeons de cassis et cassis


Il reste, néanmoins, que plusieurs trames traversent ce parfum extrêmement complexe. Indéniablement, des fleurs, à la fois riches et vertes, comme la jacinthe en note de tête et le jasmin, que l’on retrouve aussi en note de cœur, voient leur puissante senteur encore renforcée par le galbanum au centre du parfum. D’où la persistance du vert bien au-delà des notes de départ.

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Galbanum


Toutefois, il se mêle de plus en plus aux fleurs. La rose, en particulier, présente dans les deux premières étapes du développement, ainsi que les aldéhydes, qui l’enrobent de douceur, mais rivalisent aussi de puissance. Ils accentuent, en effet, l’opulence des notes florales et l’humeur printanière de Chamade, à la fois verte et fleurie, en acquiert une rare intensité.

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Rose


Après la première bouffée verte, les fleurs prennent donc une importance capitale. D’ailleurs le lilas, la fleur du printemps par excellence, fait la transition entre les trois étapes de la pyramide olfactive avec sa senteur délicate, verte, fleurie et fruitée, capable de relier le cassis avec les notes fraîches de la rose et du muguet au cœur du parfum et la douceur des notes balsamiques du fond. Point de doute, Chamade est un parfum très fleuri.

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Lilas


Dès lors comment concilie-t-il sa fraîcheur avec les baumes ? Le baume de Tolu, en effet, possède une odeur sucrée, proche du caramel, mais aussi une facette cireuse, médicinale et animalisé. Le baume de Tolu, quant à lui, sent la vanille, la cannelle et le bois ; le baumier du Pérou accentue ce côté résineux. Entre ces baumes et le galbanum, il existe un contraste, le côté terreux de la gomme, mais aussi une affinité résineuse. Est-ce suffisant pour expliquer la cohérence du parfum ?

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Larmes ambrées du baume de Tolu

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Résine du baumier du Pérou


De fait, un autre fil conducteur se présente dès les premières notes : l’odeur montante de Ylang-ylang montre sa facette fruitée au contact du cassis, mais se révèle aussi, à la longue, crémeuse et épicée, à force d’entourer la vanille, le clou de girofle et les résines. Florale et exotique, son odeur entêtante de fleur blanche, proche du jasmin et de la tubéreuse, ajoute une note fruitée, luxuriante, animale et charnelle, en accord, respectivement, avec le cassis, le jasmin et les baumes.

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Grandes fleurs d’ylang-ylang des Comores


Au final, les aspects vert, fleuri, fruité et balsamique jouent sur différentes cordes. Si les bourgeons de cassis sont verts et se marient donc parfaitement bien avec le galbanum et le jasmin de Grasse, leur acidité équilibre la richesse des lourdes notes fleuries de la jacinthe et du jasmin, ainsi que la douceur de la chaleureuse guerlinade, présente en filigrane, tout au long de l’évaporation extrêmement lente du parfum : bergamote en note de tête, rose et jasmin en note de tête et de cœur ; baume de Tolu, baumier du Pérou, fève de tonka, iris et vanille en notes de fond.

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Fèves de tonka


Plus avant, alliés avec le galbanum prenant et montant, les bourgeons de cassis décapent avec leur note verte. Gluants et acides, ils coupent au travers de l’odeur sucrée du cassis, au cœur du parfum, ce qui permet à la fois de mettre la confiture fruitée en valeur et de lui éviter de basculer du boudoir vers le garde-manger. Car c’est bien d’amour qu’il s’agit, non de boustifailles. L’intensité de Chamade en est la preuve. Sensuel, élégant et complexe, ce parfum laisse un sillage étonnant qui n’a rien de lourd, mais jette un trouble. Chamade est complice comme deux amants. On peut le porter n’importe où, sans se soucier de l’occasion. Pourtant il déclenche une forte émotion. Car Chamade est réellement percussif.

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Magritte Amants, 1962


C’est pourquoi, par-dessus tout, Chamade me rappelle la façon dont Rachmaninov jouait du piano : des notes claires dues à un rythme et un staccato extrêmement précis. En effet, le génie technique de Jean-Paul Guerlain, très en évidence dans Chamade, empêche la complexité de la composition de noyer la clarté des notes en raison d’un rythme d’évaporation parfaitement maîtrisé.

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Rémi Labarre Piano Man


De plus, Jean-Paul Guerlain et Rachmaninov partagent une virtuosité et un romantisme à toute épreuve. Aussi Chamade ne fait pas battre mon cœur au roulement du tambour auquel le terme renvoie, mais plutôt au rythme d’un autre instrument frappé, le piano, qui, joué de façon à attaquer les notes, dans les Concertos 1 § 4 de Rachmaninov, par exemples, montre sa parenté avec les instruments de percussion dont l’émission sonore résulte de la frappe d’un matériau résonnant.

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Rachmaninov en concert

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Vanille



Notes de tête :

Aldéhydes, Jasmin, Jacinthe, Bergamote, Rose, Ylang-ylang et Bourgeons de cassis.

Notes de cœur :

Lilas, Galbanum, Jasmin, Clou de girofle, Muguet, Rose et Cassis.

Notes de fond :

Baume de Tolu, Baumier du Pérou, Bois de santal, Ambre, Benjoin, Vanille, Fève de tonka, Iris et Vétiver.


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