Sa majesté, la rose , de Serge Lutens

Une rose seule, c’est toutes les roses
et celle-ci : l’irremplaçable,
le parfait, le souple vocable
encadré par le texte des choses.

Comment jamais dire sans elle
ce que furent nos espérances,
et les tendres intermittences
dans la partance continuelle.

Rainer Maria Rilke

Atypique par rapport aux autres parfums qui portent son nom, Sa majesté, la rose, serait celui dont Serge Lutens est le plus fier. C’est du moins ce qu’il en a dit, mais s’agissait-il de paroles en l’air ? La question se pose, parce que d’autres compositions, telles Bois de Violettes, Muscs Kublai Kkan ou la Myrrhe, sont autrement plus impressionnantes. Féminité du Bois, dans sa version originale de chez Shiseido, a même marqué l’histoire de la parfumerie. Mais qui prétendrait que Sa majesté, la rose, sorti en 2000, est de la même trempe ? Personnellement, je n’irais pas jusque là, mais je considère que Christopher Sheldrake a réussi cet exercice de style, qu’est le soliflore, de façon inédite : toutes les notes s’équilibrent si bien qu’il ne se définit pas autrement que par la rose en personne.

Rose marocaine

D’ordinaire, en effet, les soliflores interprètent la fleur de façon à entrer dans l’une des grandes familles de la parfumerie. La rose, en particulier, si riche en molécules odorantes, se prête bien à ce jeu : on peut la marier avec presque tout et la décliner sur tous les modes. Dans ce cadre, le tour de force original de Sheldrake est de faire des mariages cachés. Ainsi la rose ne semble ni franchement fraîche, ni longtemps fruitée, ni très poudrée, ni noyée dans la vanille ou quelque autre épice. Certes, une note de clou de girofle, savamment dosé, apparaît dès le départ, mais elle s’estompe au fil des heures.

Clou de girofle

Discrètes et tenaces, se profilent aussi une note verte, que j’impute aux tiges de géranium, et une touche de fraîcheur sucrée dont le litchi pourrait être l’auteur. De la sorte, le côté vert et fruité de la rose restent dans la presque-ombre d’un souvenir récent. Il ne s’agit pas ici d’un rosier, senti en retrait, avec sa tige et ses feuilles, mais de pétales dans lesquelles on plonge le nez.

Têtes de roses du Maroc

Tout juste dirais-je que ce parfum est marqué par une légère note boisée, venant du Bois de Gaïac, mais l’évolution linéaire de Sa majesté, la rose permet de tenir en respect ce côté fumé, à sa place, en arrière plan. Sa majesté, la rose frise donc l’Oriental Boisé sans jamais y tomber.

Bois de gaïac

Il en résulte que l’effet global du parfum change plus selon les lieux où on le porte qu’avec le temps. A l’intérieur, il se dégage un fond de pot-pourri dans lequel on viendrait de déposer une tête de rose ; dehors, c’est elle, la rose, qui prend le pas sur le bois et l’épice, parfumant la peau de façon très fleurie. A noter que sur papier, la petite touche verte et fruitée possède une présence affirmée.

Rose dessinée

Notes : Géranium, Absolu de rose, Essence de rose, Gaïac, Clou de girofle, Miel blanc et Musc