Eau sauvage de Christian Dior : L’orange bleue

dimanche 30 octobre 2016
par  Lavinia

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Eau Sauvage , de Dior, flacon vintage et bergamote

Eau Sauvage, ébauché dès 1956, prêt en 1963, seulement sorti en 1966, reste la plus belle et audacieuse variante sur le thème de l’eau de Cologne. Tout en restant fraîche, dans la tradition des hespéridés, Eau Sauvage contient aussi des notes carnées, loin de renvoyer à l’hygiénique eau de Cologne, élaborée dans un couvent de Florence, puis préparée et commercialisée par les apothicaires.

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Orange moisie

Tout se passe comme si l’on combinait la gamme majeure d’une douce mélodie populaire avec une gamme mineure plus sombre et sophistiquée. La majeure contient les notes habituelles et bien propres de citron, de bergamote, de petit grain, de basilic et de vétiver, mais la mineure joue sur des notes carnées du carvi, de la coriandre, du cumin, du patchouli et peut-être même de melon, du moins d’un fruit trop mûr.

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carvi

L’ensemble, cependant, reste harmonieux, parce la combinaison de la bergamote et du citron, en notes de tête, avec le jasmin, et une base, contenant à la fois de la mousse de chêne et de l’ambre, lui garantit la cohérence maintes fois éprouvée d’un accord chypré.

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Citrons

De plus, un mythe tenace veut que l’hédione, une molécule issue de la synthèse organique du jasmin, placée pour le première fois en note de tête, explique la rondeur et l’équilibre du parfum. Il acquiert ainsi le lustre et de la brillance d’un jasmin d’eau, frais et citronné, qui l’unifie comme le vernis d’un tableau. Seulement Roudniska désavoue la rumeur. Selon lui, ce produit n’était pas disponible lors de l’élaboration de son œuvre. Il n’en reste pas moins que comme la molécule a été brevetée en 1962 par Firmenich, il eut été possible d’en ajouter à la dernière minute. Cependant, je ne vois pas très bien pourquoi un parfumeur de la stature de Roudniska, qui a fait ses gammes chez Laire, dans l’industrie des produits aromatiques, mentirait sur un point qui n’a aucune importance réelle. Son eau sent le jasmin frais, alors sauvage ou pas...

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Coin sauvage de la Calabre


In fine, l’harmonie reste simple, mais néanmoins mystérieuse. Car comment l’odeur du moisi saurait-elle souligner la fraîcheur ? Edmond Roudniska a ici réussi un tour de force : composer un parfum frais sous-tendu par un léger relent de pourriture. Des notes pétillantes, vertes et amères, comme celle du petit grain, que l’on retrouve dans beaucoup d’hespéridés, épousent les accents fumés, camphrés, liquoreux et moisis, venant du patchouli, de la mousse de chêne, et de la coriandre avec son odeur fétide.

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Petit grain

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Feuilles de coriandre


L’odeur de fruit pourrissant dont je parlais pourrait aussi provenir d’une légère note de melon, au vu de l’utilisation que Roudniska en fit dans d’autres parfums, comme Diorella ou Le parfum de Thérèse. Mais le patchouli y suffirait. Là encore impossible de savoir.

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Melon

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Patchouli


De plus, Eau Sauvage associe le chaud et le froid, ce qui n’a rien d’extraordinaire pour un parfum, sauf que Roudniska ne laisse ni l’un ni l’autre s’exprimer à outrance. C’est là une autre originalité : un traitement minimaliste des notes chaudes et froides, interdit aux premières de ne rien donner de gourmand et aux autres d’évoquer une propreté aseptisée trop éloignée de la fraîcheur naturelle.

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Aiguilles de pin


Ainsi, parmi les notes de tête, des aiguilles de pin ou du thym apportent une note sensuelle, sans tomber dans le sucré, le carvi une note chaude, musquée et âcre, semblable à celle du cumin, elle-même proche de la peau, et les agrumes, froides et acidulées, assurent une senteur montante, légèrement piquante, accentuée par le basilic poivré et anisé : au cœur du parfum, de la racine d’iris, fine et froide, côtoie des clous de girofle, de la rose, de la coriandre, du patchouli, du bois de santal, dont la chaleur orientale, bien que toujours présente, reste remarquablement linéaire ; enfin, en notes de fond, l’ambre très douce et le vétiver bien propre équilibrent la note de mousse de chêne, terreuse et quelque peu moisie.

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Van Gogh, période arlésienne


De fait, la composition s’avère donc très recherchée. Eau Sauvage traite l’accord chypré, en filigrane, de façon tout à novatrice, sans notes lourdes ou sucrées. La présence de bergamote et de la note fleurie de petit grain, de rose et surtout du jasmin au cœur de la composition, fleur que Roudniska considérait essentiel à cet accord, ainsi que de la mousse de chêne en note de fond créent, en effet, un chypré, soumis, selon les désirs de l’artiste, à la même rigueur épuratoire que Diorissimo. D’ordinaire, les chyprés sont riches, puissants et sombres, alors qu’Eau Sauvage reste légère et transparente, car seuls ses matériaux essentiels dessinent l’architecture du chypré. Eau Sauvage a quitté la sonate pour une musique de chambre minimaliste où les instruments répètent chacun une seule note avec ténacité.

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Magritte, Le séducteur


De plus, le carvi, la coriandre, le santal, le patchouli et l’ambre forment un accord oriental minimaliste. Si nous nous résumons, Eau Sauvage serait donc un hespéridé aromatique avec un cœur floral, doté de la forme d’un chypré et d’un oriental très dépouillés. Cette juxtaposition d’accords, qui se répondent sans se dénaturer, empêche tout mélange onctueux des ingrédients, et donne au parfum une transparence inédite jusqu’à lors. Insaturées, les liaisons multiples entre les notes allégées accordent une large place aux silences, aux blancs, à la transparence de l’eau.

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Jasmin baignant dans l’eau


Discrète et silencieuse, Eau Sauvage persiste pourtant longtemps sur la peau. Réputée de bon goût, elle possède aussi une face animalisée avec ses notes d’ambre et de coriandre. D’ailleurs, heureusement que le nom Favori, d’abord considéré, ne fut pas choisi, car au final, celui d’Eau Sauvage convient parfaitement à ce parfum. Étymologiquement, ’sauvage’ signifie ce qui vient de la forêt. Or, en évitant tout ce qui est lourd, une mélodie s’instaure entre les agrumes, les épices, les fleurs et les bois pour un rendu naturel. La légèreté du vent de la garrigue court dans une pinède méditerranéenne ; la présence silencieuse des plantes et des fruits demeure inébranlable ; des petites touches âcres et charnelles soulignent des senteurs pétillantes, vertes, acidulées et fleuries.

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Cyprès dans la garrigue


En refusant les notes riches pour privilégier les senteurs pétillantes, qui insistent sans tapage, Edmond Roudniska a créé un nouveau style de parfumerie. Bien que très présente, Eau Sauvage se tient en retrait, avec ses zones d’ombre et ses temps de respiration, comme la nature qui ne livre jamais tous ses secrets. Mais comment un parfum de peau le saurait-il ? L’artifice, l’eau de toilette, et la peau parfumée se confondent dans des senteurs de carvi, d’épices et d’hespéridés.

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Gauguin, Nues tahitiennes


Une eau de toilette qui convient aussi bien l’été, du moins lorsque la chaleur n’est pas trop humide, qu’aux belles journées automne. Dans les deux cas, fruits et fleurs mûrissent et s’abîment sous une douce lumière dorée. Eau sauvage, quant à elle, colle à la peau et sublime son odeur, allant de la propreté, en passant par la transpiration fraîche jusqu’à épouser l’âcreté de celle qui marque la fin de journée.

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Roses surexposées au soleil


Voici la composition donnée par Fragrantica :

Notes de tête :

Romarin (ou aiguilles de pin), Carvi, Notes fruitées, Basilic, Bergamote et Citron

Notes de cœur :

Coriandre, Œillet (eugénol), Bois de santal, Patchouli, Racine d’iris, Jasmin (Hédione ?) et Rose

Notes fond :

Ambre, Musc, Mousse de chêne et Vétiver en notes de fond.


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