L’ombre dans l’eau de Diptyque : Le retour du règne végétal

mercredi 28 septembre 2016
par  Lavinia


L’Ombre dans l’Eau de Diptyque, édition de 2015

Dans les jardins anglais, les arbres ne sont pas sévèrement taillés et les fleurs débordent largement des plate-bandes. L’été, feuilles, fleurs et fruits créent un ensemble touffu où les senteurs se mêlent.

Jardin à l’anglaise

En 2012, Serge Kalouguine et Olivia Giacobetti ont créé une eau de parfum plus dense que l’eau de toilette du même nom de 1983. Celle-ci rappelait une promenade dans un jardin anglais, à une époque où les parfums, comme Poison ou Ysatis, n’évoquaient pas des souvenirs d’été. Résolument tournés vers l’avenir, ils forgeaient une idée grandiose de la modernité, loin des jardins et des roses.

Jardin anglais

Fondée en 1961, la maison Diptyque ne voyait pas l’innovation d’un même œil. Ses fragrances sont en quête d’une beauté sans ostentation, portée par de belles matières premières, avec des accords d’une simplicité raffinée. Avec L’Ombre dans l’Eau, le pari est tenu : il y a là un accord feuille/fruit et un accord fleur/mousse autour duquel s’élabore un parfum singulier.

Roses, eau, verdure

En note de tête, des feuilles de de cassis se mélangent avec les bourgeons du fruit écrasé et, en notes cœur, les roses de Bulgarie, complètes avec leurs tiges, se profilent sans jamais se détacher de la mousse de chêne qui leur sert de lit. Vert vif, vert foncé, vert dense, L’Ombre dans L’Eau reste indéniablement vert.

Diptyques Sans titre , Joe Hernandez

De ce fait, le parfum appartient à la famille olfactive des verts plutôt qu’à celle des fleurs. La profondeur de sa couleur verte renvoie à celle du classique Vent Vert, élaboré par Germaine Cellier, pour Balmain, où, pour le première fois, la note verte de galbanum, portée à l’extrême, remplaçait la fraîcheur de la bergamote ou du citron avec celle d’un vent printanier, annonçant l’éternel renouveau des plantes caduques. Seulement, dans L’Ombre dans l’Eau, toute la verdure a déjà fait retour avec le soleil. Sa pleine présence domine le jardin et jette son ombre dans le plan d’eau.

L’ombre d’un arbre dans l’eau

C’est pourquoi L’Ombre dans L’Eau, à l’instar de Premier Figuier qu’Olivia Giacobetti créa pour L’artisan parfumeur, peut être considéré comme un néoclassique très novateur. Il raconte une promenade au jardin, mais lui donne des accents verts intenses et un côté fruité inhabituel rappelant la feuille de tomate. Néanmoins, le vert vif du feuillage d’été, le vert foncé de l’ombre des arbres et de la mousse de chêne l’emportent sur tout.

Feuillage d’été

Mais il y a plus. L’Ombre dans l’Eau n’est pas un parfum facile. Des feuilles, des tiges et de la mousse se dégagent une senteur amère à contre-courant des odeurs sucrées appréciées aujourd’hui. La sève des bourgeons de cassis, dont l’odeur est proche de l’urine de chat, donne un rendu âpre et collant, en note de tête, très éloigné de la douceur des notes fruitées habituelles.

Feuilles et bourgeons de cassis

En fond, une note sucrée, acide et verte de tomate insiste jusqu’en fin de journée. Sur papier, elle reste en évidence des jours durant. Fruit ou Feuille ? Fruit ou légume ? Sur la plante de tomate, lorsque les fruits sont mûrs, le vert épouse le rouge et l’acidité la douceur du sucré/salé.

Tomate cornue des Andes

Le contraste avec les notes départ, où il semble même y avoir une touche de lierre évoquant le poison des plantes, tant leur présence est forte, ne manque pas de faire effet. Loin d’être linéaire, L’Ombre dans l’Eau évolue avec une ambiguïté menaçante, jouant sur le double caractère d’un jardin en pleine floraison, dont il émane des odeurs suaves et attirantes, mais aussi des senteurs lourdes et désagréables.

Poison Ivy, maîtresse des poisons des plantes, dans sa serre

Après le départ, l’acidité des plantes s’arrondit un peu au contact des fleurs. Toutefois, leur aspect piquant demeure, tant les roses se révèlent capiteuses et charnelles.

Rose de Damas

Au résultat, L’Ombre dans L’Eau décrit l’animalité des plantes foisonnantes, l’été, qui envahissent le jardin, poussent et se reproduisent dans un monde vert et amarescent, bien plus ancien que celui des hommes, puisqu’il en est la condition, plus tenace aussi, plus puissant, remplissant l’espace d’une présence pleine et odorante, sans souvenirs ou paroles, ni besoins ou regrets.

Poison Ivy dans Batman

Notes : Cassis, Figue, Rose et Feuille de Tomate


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