Guerlarose de Guerlain : L’éternel féminin en question

dimanche 19 mai 2019
par  Lavinia

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Guerlarose (perfumo.net)



L’histoire de Guerlarose commence dans les années 30s, époque à laquelle Jacques Guerlain lança Vol de Nuit, déjà fort de la création de parfums extrêmement novateurs comme Shalimar et Djedi. Il est vrai que depuis les années 20s la mode n’était plus aux parfums sentant la fleur. Faire une rose qui sentait la rose semblait dépassé. Coco Chanel n’avait-elle pas dit qu’une femme devait sentir la femme non la rose ? Et les parfumeurs ne se réclamaient-ils pas de l’école des artistes abstraits, non des vulgaires imitateurs de la nature ?



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Emile Vernon, Jeune femme aux roses (19ème siècle)



Pourtant, d’après l’anecdote, les femmes de la famille Guerlain émirent le souhait de porter un parfum à la rose. Jacques Guerlain en confia la tâche à son frère, Pierre Gabriel, qui créa la même année, en 1934, Guerlarose et Guerlilas pour le plaisir de ces dames.



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Marc Chagall, Vase avec des roses (1929)



Mais elles ne furent pas les seules à s’en saisir. Au vu de l’histoire, le goût pour l’imitation dans le domaine artistique ne se perdra jamais. Qui ne prend plaisir à voir un portrait ressemblant ou à lire un roman, qui lui semble extrêmement réaliste ? Dans le domaine du parfum, en particulier, les essences et absolues très pures, distillées à partir des fleurs elle-mêmes, apportent un plaisir inégalé.



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Rose Damascena cultivées pour l’huile de rose (researchgate.net)



Plus généralement, une œuvre d’art s’apprécie aussi parce que l’imaginaire, loin de se détacher du réel, nous dit quelque chose à son propos. Aussi abstrait qu’il soit, un parfum nous parle du monde : des couleurs sans les formes ou les formes sans les couleurs et toujours du monde de l’art. Une œuvre d’art ne saurait sortir du monde naturel, seulement nous empêcher d’adopter la ressemblance pour tout critère, comme si la ressemblance elle-même n’avait recours à une grille de lecture aussi conventionnelle et contestable que toute autre.



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Auguste Renoir, Roses dans un vase (1890)



De là à parler du Romantisme, il n’y a qu’un pas, car, pour les romantiques, l’art n’imitait pas la nature, mais la recréait. Certes la nature, associé aux qualités féminines, la douceur, la grâce, la beauté et la pureté, leur servait source d’inspiration. Pourtant l’art ne se contente pas d’en être le miroir, mais crée une réalité parallèle.



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Heckle Augustin Bowless, Drawing book for ladies (19ème siècle)



Guerlarose illustre parfaitement ce propos. Le parfum ne sent pas la rose ; il sent toutes les roses. Dans le style de la maison, il y a une overdose de roses et, comme si cela ne suffisait, une très forte note de miel, qui vient encore adoucir leur parfum déjà naturellement suave. Certains disent qu’une base de Laire fut utilisée afin de donner cet effet d’une rose Centifolia puissance dix avec son odeur chaude et cireuse.



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Rose Centifolia (hermitageoilsaustralia.com)



En guise de fixateur, Pierre Gabriel opta, en sus, pour la propolis – un matériau fabriqué par les abeilles à partir de résine végétale et de cire, afin de colmater les brèches dans leur ruche et de l’assainir. En effet, une teinture de propolis, à l’usage des parfumeurs, en séparant la cire de ses impureté et du miel, par chauffage au bain-marie dans l’eau ou en mettant des bouts de cire directement dans de l’eau. Son odeur animale et boisée explique peut-être les notes de fond de Guerlarose. Bien qu’il me semble y discerner aussi un peu de musc de Tonkin.



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Cire d’abeille (confidencesdabeille.com)



Si, à mon nez, Guerlarose est surtout une rose miellée, ses facettes fruité et citronnée ne sont pas du reste. Bergamote et citron se mélangent avec le miel pour lui donner quelque chose de fruité. Au vu de l’ancienneté de mon flacon, la bergamote est, en effet, confite ; seul le citron lui apporte encore une délicieuse pointe de fraîcheur, accentuée par une note d’héliotrope très propre.



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Bergamote de Calabre (altritaliani.com)



L’héliotrope accentue en même temps le côté poudré et cosmétique de la rose. Tout se passe comme si Pierre Gabriel était parti pour composer le parfum le plus féminin qui soit, en réponse au rêve de celles qui voudraient, du moins parfois, affirmer une féminité d’un grand romantisme.



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Magritte, Jambes de femme sortant d’une rose (1943)



Dans cet esprit, Guerlarose représente une sorte de quête d’absolu. Car trouver un parfum, plus suave et sensuel à la fois, me semble mission impossible. Floral, ambré et doux comme le miel, Guerlarose correspond à une sorte de féminité fantasmée, ou, si vous préférez, l’éternel féminin exacerbé, imaginé par les artistes. Je l’aime beaucoup au printemps et à l’automne, lorsque le temps se fait un peu frais, parce que c’est une rose chaleureuse ambrée et boisée d’une douceur infinie, telle la lumière dorée du soleil, lorsqu’elle apparaît filtrée, non dans tout son éclat estival.



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Renoir, Bouquet de roses (1890-1900)



Notes de tête :

Rose, bergamote et citron



Notes de cœur :

Rose, miel et héliotrope



Notes de fond :

Brèche d’abeille, ambre gris, musc de Tonkin et bois