L’Eau Trois de Diptyque : Myrrhe et Bois

samedi 19 janvier 2019
par  Lavinia

Eau Trois de Diptyque (diptyque.com)


L’Eau Trois de Diptyque, lancée en 1975, précède La Myrrhe de Serge Lutens de 1995, bien que celle-ci serve de référence en la matière, souvent décrite comme le premier parfum à mettre la myrrhe au centre de la scène plutôt qu’en note de fond. Peut-être est-ce parce que Christopher Sheldrake en fit une étude moderne et aldéhydée, alors que Serge Kalouguine donne une dimension plus attendue à cette résine.



Myrrhe (lgbotannicals.com)


Serge Kalouguine, nous le verrons, joue sur deux cordes et fait de L’Eau Trois une des compositions les plus réussies des débuts de Diptyque. Parmi les parfums de cette maison, L’Ombre dans l’eau et Olène du même parfumeur l’éclipsent dès les années 80s, mais L’Eau Trois n’en reste pas moins un parfum équilibré et original.



Myrrhe sur l’arbre (kiorama.ca)


De plus, il fait preuve de poésie rappelant à la fois le soleil de la Méditerranée et le fraîcheur de l’ombre. C’est elle, me semble-t-il, contrastée avec la chaleur ambiante, qui procure le vrai plaisir des journées caniculaires que le parfum de Serge Kalouguine reproduit admirablement. Du moins, était-ce sa source d’inspiration  : l’ascension du Mont Athos sous une soleil ardent et l’abri d’une église silencieuse où l’encens traditionnel, contenant de la myrrhe, avait été brûlée. De là à imaginer les trois mages en ces lieux, il n’y a qu’un pas.



Mont Athos (fr.wikipédia.com)


Les notes du parfum racontent cette randonnée et file la métaphore du voyage des trois mage, au travers de contrées chaudes, vers une sombre étable. L’Eau Trois ouvre sur des notes romarin camphré et de myrte herbacée, un peu mordante.



Romarin (herbgarden.co.za)



Myrte (wikipedia.com)


On peut aussi y trouver un bouquet provençal contenant de l’origan et du thym. L’intensité aromatique de la végétation méditerranéenne, parfaitement rendue, ne me permet pas de distinguer toutes ses herbes avec certitude, bien je suspecte leur présence. Puis peu à peu le labdanum émerge comme étant le senteur dominante. C’est là où s’effectue le raccord entre la montée et la chaleur du soleil avec l’intérieur de l’église. Le labdanum donne une tonalité chaude, résineuse, cireuse et boisée, en phase avec les relents médicamenteux de l’huile essentielle de myrrhe, ainsi que de l’encens brûlé à vocation sacrée et des bancs en bois où s’asseyaient les fidèles.



Labdanum (biolandes.com)



Protatou sur le Mont Athos (oocities.org)


En fait, dans L’Eau Trois, toutes les notes servent à explorer ces deux utilisations de la myrrhe. D’abord, ses facettes épicée et résineuse se retrouvent dans la cannelle, le clou de girofle et peut-être le poivre. Surtout le carvi, anisé, mentholé, aromatique et épicé, relie les herbes aromatiques et épices. L’Eau Trois évoque ainsi à la fois le paysage dans lequel pousse l’arbre à myrrhe et son usage traditionnel en médecine.

















Cannelle (naturasense.com) et Carvi sauvage (epicesdecru.com)



Arbre à myrrhe (hermitageoils.com)


Puis, en un second temps, l’encens remonte, rappelle sa vocation sacrée et nous dessine l’intérieur sombre d’une église. l’odeur du pin, dont les rameaux et les aiguilles sont généralement distillés à la vapeur d’eau, se révèle résineux et boisé, mais aussi frais et camphré, ayant par là quelque chose de l’humidité de la myrrhe et des bancs d’église.



Rameaux de pin (fr.wikipedia.org)


Sur leur site, Diptyque cultive le mystère : le nom de L’Eau Trois serait-il une référence au fait qu’il est le troisième parfum de la maison ou aux trois mages ? Il s’agit bien sûr des deux à la fois. Ni Serge Kalouguine, ni son entourage, ne sauraient ignorer le double sens de ce nom.



Girolamo de Santacroce, L’adoration des trois rois (détail Balthasar)


Et même si tel serait le cas, d’autres ne manqueraient de le relever, d’autant plus que les noms traditionnels de « Gaspard, Melchior et Balthazar » sont généralement cités dans cet ordre, faisant de Balthazar, qui porta la myrrhe à l’enfant Jésus, le troisième mage. L’interprétation que les Pères de l’Église donnèrent à ces présents, à partir du 6ième siècle, collent avec cette idée, parce que l’or était censé évoquer sa royauté, l’encens, à la fois, son sacerdoce et sa divinité, et la myrrhe son humanité, sa faculté de guérir et sa mort.



Mosaïque des rois mages (Basilique Saint-Apollinaire-le-neuf à Ravenne)


Aussi peut-on aller plus loin. Dans toute l’antiquité, la myrrhe était brûlée comme l’encens, en offrande aux dieux, et s’associait à la combustion. L’Eau Trois nous fait donc remonter le temps, à l’époque où l’encens et la myrrhe s’imposaient, dans tout le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, comme la fumée offerte aux Dieux.



Encens dans Église Orthodoxe (blog.obitel-minsk.com)


Récoltées en Arabie au lever de Sirius, l’étoile la plus brillante de la constellation du Chien, qui apparaît surtout l’été, en pleine canicule, elles étaient considérées comme les substances les plus en affinité avec le soleil. L’encens et la myrrhe, aux vertus purifiantes, s’utilisaient aussi largement en médecine et servait à l’embaumement des corps.



Sirius (silhatbor.free.fr)


L’Eau Trois est donc la myrrhe de Balthasar, le roi d’Arabie et de son voyage à Jérusalem, afin d’offrir au Christ une des produits les plus précieux de son époque. Facile à porter, cette eau de toilette dégage des odeurs boisées et aromatiques. De plus, les épices sont légèrement dosées. L’Eau Trois, pure et fraîche, se marie avec toutes les tenues. Il ne s’agit pas d’un parfum opulent, mais subtil et persistent, à force d’être boisé et résineux.



Bartolo di Fredi, Adoration des Mages, (1380)


Notes de tête :

Romarin, Myrte, Thym, Laurier et Origan


Notes de cœur et de fond :

Myrrhe, Cannelle, Clou de girofle et Poivre, Encens de Kyria, Bois de Pin et Carvi