Myrrhiad de Pierre Guillaume : La myrrhe aux pays des merveilles

dimanche 6 janvier 2019
par  Lavinia

Myrrhiad de Pierre Guillaume (luckyscent.com)


Myrrhiad de Pierre Guillaume, lancé en 2011, exploite les facettes baumées, caramélisées, coumarinées et anisées de la Myrrhe. Ce parfum interprète donc la myrrhe de façon totalement opposée à celle de Serge Lutens, sortie en 1995, qui en fit quelque chose de moderne et d’aldéhydé.



La Myrrhe de Serge Lutens (fragrantica.com)


Ce choix permit de développer la facette fruitée de la myrrhe à outrance, mais aussi de renvoyer à son ancien usage curatif avec des accents médicinaux. La seule chose dont Pierre Guillaume est redevable envers Serge Lutens et de Christopher Sheldrake, reste l’initiative de créer une composition tournant autour de la myrrhe plutôt que de l’utiliser en note de fond.



La myrrhe (naturallyanimals.com)


Le nom de son parfum, Myrrhiad, renvoie à la racine grecque de ‘myriade’, ‘muriades’, signifiant ‘dix mille’ ou ‘très grand nombre’, aussi bien qu’à l’étymologie de ‘myrrhe’ du latin ‘myrrha’, lui-même du grec ancien, ‘múrra’, signifiant ‘parfum’, c’est-à-dire ‘par la fumée’.



Encens, copal et myrrhe, trois encens à brûler (spirituallyhealthy.com)


Ce terme est probablement apparenté à l’arabe, ‘mour’, de même sens, et à l’hébreu ‘morr’, qui, pour certains, renvoie à ‘amer’ plutôt qu’à ‘parfum’. De toutes les façons, le fait que Pierre Guillaume ait forgé un mot-valise, lui-même un calque du terme ‘portemanteau word’, inventé par Lewis Caroll, exprime une volonté de traiter la myrrhe dans l’esprit de l’extrême polyvalence de matériau, mais, non, toutefois, sans humour, puisqu’un mot-valise est le moyen de dériver du trop-plein de sens vers le non-sens.



Lewis Caroll, Alice au pays des merveilles, illustration d’Alice écoutant les conseils d’une chenille qui fume : « Gardez votre sang froid » (1865)


En effet, Pierre Guillaume en a surtout accentué le côté anisé avec de la réglisse. Myrrhiad commence de façon assez inattendue avec cette note très sucrée, qui me rappelle toujours Lolita Lempicka et Lolita Lempicka au masculin. Il y a là aussi quelque chose d’amer et de médicinal. L’ensemble en appelle aux souvenirs magiques de l’enfance – bonbons sucrés et médicaments amers – capturés dans un jus sensuel, sombre et sophistiqué.



Bâtons de réglisse (silkroadspices.ca.org)


Associé à la vanille, un cocktail de réglisses produit le même effet dans Myrrhiad. L’idée enchantée des crèches et des cadeaux des rois mages prévaut sur la préparation de la dépouille mortelle du Christ avec de la myrrhe, telle que nous la raconte L’Évangile selon Saint Jean. Ici la myrrhe se transforme en bonbon amandé, caramélisé et surtout anisé.



Bonbons à la réglisse (Reykjavik Food Walk)



Crèche (lacroix.com)


Pourtant, une légère note fumée et cuirée de thé noir se charge de célébrer le fond archaïque de la myrrhe et ses multiples coutumes auxquelles elle fut indispensable. Brûlée comme de l’encens en offrande aux dieux, utilisée par les Hébreux pour fabriquer l’huile d’onction sainte des prêtres, par les Égyptiens et les Hébreux encore pour embaumer les morts, puis symboliquement par Balthazar pour rappeler la mortalité de Jésus, mais aussi pour les fêtes (’Mets de la myrrhe sur ton front, revêts toi de lin blanc, parfume toi avec les merveilles véritables’ (Chants d’amour (un chant égyptien composé vers 1500 av J.-C)), la myrrhe s’assimile à une senteur-valise à usage polyvalent.



Myrrhe brûlée (smarticular.com)



Adoration des trois mages (Santa Maria, Trastevere, Rome)


Une autre pratique moins connue vient nous le confirmer. Dans L’Évangile selon Saint Marc, la myrrhe, mélangée à du vin, en augmentait la vertu euphorisante et, selon une coutume juive, ce breuvage était parfois proposé aux suppliciés pour atténuer leurs souffrances, ce qui fut le cas pour Jésus. Ce dernier fut aussi embaumé avec de la myrrhe, apportée par Marie-Madeleine, la sainte patronne des parfumeurs, et le thé noir produit un effet goudronné de cuir rappelant cette forme de tannage des corps humains.



Anubis, embaumement (Dynasty IV)


Les notes de thé noir complimentent donc le côté sucré de la myrrhe, avec sa facette caramélisée, tout en lui apportant une touche brûlée comme un encens. Il y a là aussi quelque chose d’amer comme le cuir dont nous venons de parler. Dès lors on se souvient que selon la légende grecque, la myrrhe tire son nom de Myrrha, fille de Cinyras, roi de Chypre, changée en arbre par les dieux pour avoir commis un inceste, et dont les pleurs suinte de l’arbre telles la résine.



Myrrha accouche d’Adonis par son écorce (illustration pour Les Métamorphoses d’Ovide)



Larmes de myrrhe (phytotheque-wordpress.com)




Car la myrrhe a l’amertume des larmes. Le sucré et l’amer, le baumé et le fumé se rencontrent et le parfum devient presque linéaire. Car, a vrai dire, il y a là deux mélodies qui chantent en cœur : de nombreuses notes de réglisse et de vanille se mélangent avec le thé noir en avant-plan et la myrrhe, encore avec la vanille, en arrière-plan.



Thé noir fumant (thebrunettediary.com)



Vanille (foodnavigator-usa.com)


In fine, la myrrhe réinventée par Pierre Guillaume reste chaude et balsamique, mais l’accent, mis sur ses facettes coumarinée, sucrée et anisée, lui donne beaucoup de modernité. Cette résine, légèrement anisée, douce et subtile, murmure sous la senteur baumée plus forte des réglisses et vanilles.



Myrrhe d’Inde (meritepatience.fr)


L’ensemble a une odeur et un sillage très agréable avec un fond de myrrhe subtilement aromatique. Je porte ce parfum en hiver avec n’importe quelle tenue. Sa sensualité, comme je l’ai décrite ci-dessus, me paraît enjouée, douce et sombre à la fois. Myrrhiad incarne la sensualité de la femme-enfant qui n’en est pas moins redoutable, comme celle de Louise Brooks dans Loulou, qui n’en est pas moins fatal pour autant.



Georg Wilhem Pabst, Loulou (1929)


Notes : Réglisses, Vanilles, Thé noir et Myrrhe