Fate Woman d’Amouage : Les désordres d’un chypré

lundi 31 décembre 2018
par  Lavinia

Fate Woman (uae.souq.com)


Surprise ! Fate commence par une note de bergamote fraîche et festive, inattendue dans cette composition jouant des épices brûlantes, de la richesse de son bouquet de fleurs, des résines sucrées et de la forte présence de ses notes animales.



Bergamote (anandaapocathery.com)


En fait, tout se passe comme si un accord chypré, voué à disparaître, servait d’introduction à Fate. Car la mousse de chêne rejoint vite la bergamote, afin de lui donner un tour amer, puis une note de chili vient mettre le feu à ces débuts rassurants. Le poivre noir, lui aussi, ajoute une note brillante, qui en finit d’écraser la rondeur du fruit. Enfin une note chaude, boisée et sucrée de cannelle se détache.



Chili (thefreshsupplycompany.com)



Poivre noir (livemint.com)


Toutefois, le reste de Fate suit peu ou prou ce modèle. Fondamentalement envoûtant, à la mode orientale, Fate se veut aussi de la famille des chyprés, basés sur le contraste entre des notes fraîches, douces et amères. Apparaissent ainsi un temps des notes de narcisse et de rose plutôt frais qu’opulents avec une touche de jasmin.



Narcissus jonquilla (mediatorehouse.com)



Rose (hamiltongardens.co.nz)


Les fleurs sont soutenues d’abord par du labdanum, de la mousse de chêne et du patchouli, avant que les résines ne prennent le dessus. Fate a donc cette double nature tout au long de son évaporation. Les accords ordonnés du chypré classique se profilent afin d’être pulvérisés par une overdose d’ingrédients caractéristiques des parfums dits ’orientaux’.



Mousse de chêne (rusticessentials.com)



Patchouli (mulberrypines.com)


Dès l’ouverture ce sont les épices, puis les résines et le castoréum qui jouent ce rôle. Le chili, le poivre noir et la cannelle écrasaient quelque peu la bergamote ; puis le labdanum se mélange avec le castoréum doucereux et la myrrhe humide, sucrée, épicée et anisée.



Labdanum (lgbotanicals.com)


Chaude, caramélisée et tenace, la myrrhe réchauffent les fleurs, qui deviennent plus gourmandes, moins fraîches. L’encens, non particulièrement fumé, mais toujours présent comme un voile léger, en finit de rendre le bouquet abstrait.



Myrrhe (lgbotannicals.com)



Encens (sorcieredufjord.com)


Enfin, la senteur sucrée et résineuse du castoréum et de la myrrhe, accompagnés par le caractère fruité du patchouli, dominent, l’effet d’ensemble étant très proche de celui d’Opium.



Poudre de castoréum et vanille (cosmopolitan.fr)


Cependant, Fate contient beaucoup plus de fleurs, non uniquement des matières sèches. Comme Opium, il s’agit d’un grand parfum au sillage monstrueux ; contrairement à Opium, loin d’être monolithique, Fate ne se comprend pas comme un épicé oriental, qui fonctionne sur un seul plan. Il s’agit plutôt d’un conte féerique avec de nombreux niveaux de lecture.



Sani Ol-Mok, Sheherezade et le sultan (1849-1856)


Conformément à son thème, le destin, Fate, créé par Dorothée Poit, en 2013, sous la direction artistique de Christopher Chong, évoque le côté destructeur de nos actes et la face cachée de la vie, en confrontant l’accord maîtrisé du chypré à la démesure des parfums dits orientaux, qui se veulent aussi puissants que possible.



John Henry Fuseli, The nightmare (1781)


Mais quel rapport avec le destin ? Fate se traduit assez mal en français. L’anglais permet de distinguer la destinée (‘destiny’) de ‘fate’. Le premier terme donne un sens plutôt constructif aux événements, envisagé à partir d’une finalité : par exemple, une maladie permet de découvrir sa vocation ou un rencontre accidentelle l’amour de sa vie. ‘Fate’, au contraire, renvoie à l’étymologie du terme, le latin ‘fatum’, désignant un pouvoir, auquel l’homme ne peut rien, déterminant les événements à l’avance, d’où leur caractère inévitable.



Les trois Moirai, connue en anglais comme ’the three fates’), tapisserie flamande (vers 1520)


Les mythologies européennes personnifiaient ces forces du destin : par exemples, les trois Moira, chez les Grecs, dont les décrets touchant à la sphère biologique, demeurent irréversibles, même par les Dieux ; les Parques, chez les Romains, mesurent la vie des hommes et en tranchent le fil.



Bernardo Strozzi, Le tre parche (av.1664)


Aussi Œdipe aura beau organiser sa vie de manière à éviter ses parents, rien n’y fera : il les retrouvera justement à Thèbes en fuyant sa famille d’adoption à Corinthe. A vrai dire, du point de vue qui est le sien, Œdipe vit des événements qui sont le fruit du hasard, comme à l’échelle microphysique, les atomes entrent en collision, ce qui leur donne un mouvement aléatoire.



Œdipe et le sphinx (dessin sur une coupe en provenance de l’Attique)


Cependant, à partir de cette désorganisation apparente, l’équilibre s’atteint. Plus il y a de façons de fabriquer un macro-états à partir de micros-états, plus la réalisation d’un macro-état est probable. Œdipe emprunte mille détours, mais accomplit son destin. Fate l’illustre cela. Dans ce parfum, un grand nombre de riches ingrédients produisent l’effet escompté : le cœur floral, perturbé par la force des notes de fond, s’en trouve à la fois intensifié et détruit par leur caractère sombre. 



Jan Brueghel, Bouquet (1603)


Pour résumer : après ses débuts frais, son lourd sillage narcotique et caramélisé devient envoûtant, avant de se transformer en fin d’évaporation, en un voile ambré de vanille et de musc. L’opulence augmente et la fraîcheur se perd dans le désordre produit par une lame de fond, contenant de la vanille, de l’encens, du benjoin, du castoréum, du patchouli, de la mousse de chêne et du cuir. Vous l’aurez compris : Fate se porte dans de grandes occasions plutôt l’hiver. C’est le parfum des fêtes par excellence avec sa démesure et sa richesse.



Décoration pour fête orientale (taller.fr)


Notes de tête :

Bergamote, Cannelle, Chili et Poivre


Notes de cœur :

Rose, Narcisse, Jasmin, Encens et Labdanum


Notes de fond :

Gousse de vanille, Encens, Benjoin, Castoréum, Patchouli, Mousse de chêne et Cuir