Pagan de TRNP : Cuir narcotique

samedi 24 novembre 2018
par  Lavinia

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Pagan de TRNP



Pagan de Teone Reinthal reconstruit l’odeur du cuir traité avec des produits d’origine végétale, à l’aide de l’amertume de fleurs et de bois naturels. D’ordinaire le goudron de bouleau est la matière phare des parfums cuirés – une mode qui commença vers 1820 avec lesdits cuirs de Russsie. Or, en Russie et dans tout le nord de l’Europe et de l’Asie, il existe d’immenses forêts de bouleau dont l’écorce fut longtemps utilisée en tannerie et l’huile dans l’entretien des fameuses bottes russes.



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Forêt de bouleaux dans l’Oural en automne (amazon.fr)



Seulement Pagan, bien qu’il contienne aussi du goudron de bouleau, joue sur un autre registre. En effet, le tannage végétal, un procédé, vieux de 4000 ans, se répandit de par le monde, parce que chaque peuple utilisait les plantes de sa région contenant une forte concentration de tanins – des composés phénoliques capable de se lier aux protéines des peaux, afin de les transformer en cuirs.



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Formule d’un acide tannique utilisé en tannerie



En Europe, par exemple, l’écorce de chêne, dont la racine et les feuilles sont aussi très riches en tanins, ainsi que le pin, furent longtemps utilisée en tannerie. On pense même que le terme ‘tanin’ vient du Gaulois ‘tanno’ signifiant chêne et/ou de tanna, un vieux mot Allemand pour le chêne ou le pin, proche de ’Tannenbaum’. Mais nous venons de voir que le bouleau avait ce même usage dans d’autres contrées.



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Forêt de chênes de Tronçais (lamontagne.fr)



Pour la petite histoire, dans l’antiquité, les Égyptiens exploitaient surtout l’écorce de mimosa et les méditerranéens les feuilles de sumac. Mais grand nombre d’écorces, de bois, de racines, de feuilles ou de fruits, contiennent des tanins et d’autres permettent de teindre le cuir. Toutes ces substances végétales auraient très bien pu rentrer dans les macérations, jusqu’au 19ème siècle, lorsque le traitement des peaux devint tributaire de la chimie organique, qui transforma l’artisan en industriel, l’atelier en petite usine, et ce définitivement, avec l’invention du le tannage au chrome datant des années 1880.



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Feuilles de sumac (parlonsbonsai.com)



Dans Pagan, la senteur du cuir vient de trois sources : le narcisse, l’huile de cypriol et le goudron de bouleau. Or il s’avère que ces trois produits sont riches en tanins. Mais les tanins me direz-vous n’ont quasiment pas d’odeur. Nous les goûtons dans le vin rouge et dans les thés longuement infusé. Leur amertume se sent vers le fond de la gorge et l’astringence, mise à profit pour traiter les peaux, donne une sensation d’assèchement de la bouche en agglutinant la salive.



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Tannerie Choura de Fès, vieille de 1000 ans (andreasphotos.flickr)



Aussi l’odeur du cuir se définit-elle fondamentalement, par correspondance avec le goût amer et sec des tanins. On peut, certes, lui ajouter des notes fleuries ou beurrées, afin d’évoquer les cuirs souples parfumés, tels les gants ou les sacs à main, voire l’intérieur des voitures de luxe, mais le cuir de Teone Reinthal, bien que très floral, n’est pas cette trempe.



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Narcissus pasionale (gardenia.net)



Le narcisse qui, à lui seul, possède la complexité d’un parfum, n’adoucit pas le côté amer du cuir. Grasse et narcotique, elle évoque les champs de fleurs sauvages et l’odeur de feuilles vert foncé sous le charme desquels tombe celui qui s’enfonce dans la nature sauvage. Les nuances hypnotiques de vert du narcisse s’accompagnent de facettes aromatiques ; son animalité se trouve renforcée par une note musquée d’ambrette. De temps à autre, une fleur d’oranger, tantôt carnée, tantôt sucrée, transparaît brusquement comme un rayon de soleil sur ce fond émeraude.



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Fleur d’oranger (fona.com)



L’autre acteur principal de Pagan, le cypriol, apporte une odeur boisée et terreuse, très sensuelle avec sa touche épicée de cannelle. La narcisse et le cypriol, tout deux tenaces, évoquent le cuir peu flexible des accessoires, telles les ceintures, les chaussures et les sacs, arborés par un peuple ancien ou primitif, vivant au contact de la terre, non du tout le cuir souple des gants ou vêtements de luxe.



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Cypriol ou nagarmotha (lgbotanicals.com)



Pagan respire la vigueur. Il nous transporte dans un pays merveilleux où abondent des fleurs animales, tels le narcisse ensorcelant, mais aussi une fleur d’oranger un peu amère. C’est le genre de pays où les hommes ont des cultes et se fient aux vertus des plantes, comme celle de l’huile essentielle de cypriol, surnommé « Nagar musta » en Sanskrit ou « Nagar motha » en Hindi, dans son pays d’origine, l’Inde, où elle fait partie d’un rite ancien : l’art du Vashikarana dans lequel cette huile s’applique sur le front afin de s’assurer le succès en amour. Les racines de cypriol étaient aussi, naguère, utilisées pour parfumer les vêtements féminins, notamment les traditionnels saris. Je ne sais si la pratique perdure.



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Racines de nagarmotha (indiamart.com)



Acre et chaud, le goudron de bouleau permet de mettre l’accent sur les facettes goudronnées des autres matériaux, mais ne domine nullement Pagan, qui reste essentiellement un narcisse sauvage. C’est son odeur qui reste sur la peau en fin de journée, mêlée au cypriol, avec ses relents de fumée d’encens, et au bois de santal cuiré, terreux et robuste, dont la senteur chaude souligne le côté aphrodisiaque du parfum.



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Bois de santal (naturespirit.com)



En effet, Pagan contient surtout des ingrédients réputés tels : le narcisse, l’huile de cypriol et le bois de santal. La fleur d’oranger, aux vertus apaisantes, rejoint l’effet narcotique du narcisse et l’animalité de l’ambrette et du goudron de bouleau. Au résultat, un parfum de peau magique, bien que le narcisse et l’huile de cypriol se diffusent autour du corps, comme une aura.



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Narcisses du poète (worldof floweringplants.com)



Pagan existe dans deux versions : une huile et un parfum dilué dans l’alcool. Je préfère l’huile, parce qu’elle correspond tout à fait à l’esprit païen de ce parfum, qui renvoie à la peau et à la nature, non à une dimension éthérée ou lointaine. Les païens pouvaient vénérer des rivières, des montagnes, des forêts, des animaux, des statues, voire un amas de pierre, comme des Dieux, qui intervenaient dans toutes leurs affaires. Point de séparation donc entre le monde qui nous entoure et le sacré. C’est là aussi l’esprit du parfum.



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Art aborigène dit ’rock art’ (videoblock.com)



Notes :

Narcisse, huile de cypriol, ambrette, fleur d’orange, goudron de bouleau, Bois de santal