Times Square de Masque Milano : New York 6 ans av. 2000

vendredi 26 octobre 2018
par  Lavinia

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Times Square de Masque Milano (#lesplusbeauxparfums)



Lancé en 2017, Times Square est la quatrième et dernière scène de l’Acte I des parfums de Masque Milano. Déconnectés en apparence, chacun reflète un paysage olfactif qui marqua Alexandre Brun, lors de ses voyages, accompagné ou non par son partenaire Ricardo Tedeshi. Terra Alba (scène I) décrit les odeurs du maquis donnant sur la mer méditerranée,Montechristo celles de l’intérieur d’une ancienne demeure Toscane, Russian Tea celles de la rue Nevsky Prospekt à Saint-Pétersbourg, enfin Times Square, celles d’un des endroits les plus animés du monde, surnommé « Crossroads of the world », où environ 365 000 personnes se croisent chaque jour.



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Times Square (direction sud) (Wikipédia)



Le parfum de Masque Milano est un voyage dans l’espace, mais aussi dans le temps. Alessandro Brun visita New York en 1993, juste avant que le maire Rudolph Giulani (1994-2002) ne ferma les sex-shops, les peep-shows, les cinémas pornographiques et les boutiques de souvenirs bon marché de Times Square, afin de sévir contre la prostitution de rue et la drogue.



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Mike Andrews, Dernier peep show sur Times Square (Fine Arts America)



Curieusement, Tower records et Virgin Megastore désertèrent aussi un peu plus tard. Certains regrettent le passé et disent que Times Square manque d’âme. Aujourd’hui il s’agit surtout de touristes prenant des selfies et dînant dans des chaînes de restaurants, existant partout ailleurs aux États-Unis : TGI Fridays, Applebees ou encore The Olive Garden.



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Times Square, vue avec Virgin Megastore, années 1990s (pinterest)



Bruno Janovic, le compositeur du parfum éponyme, clame son amour pour la puanteur de New York sur le site de Masque Milano. Son œuvre est nostalgique d’un passé scabreux, mais ô combien, vivant. Au contraire, d’autres pensent que cette section dangereuse de Broadway est enfin redevenue un agréable lieu de promenade, réservée aux commerces et aux spectacles, surtout depuis que la municipalité a décidé, en 2009, de fermer le quartier la circulation automobile, entre la 42 ème et 47 ème rue.



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Disney Store sur Times Square (newyorkcity.fr)



Parce que situé entre 42e rue et Broadway, l’âge d’or de Times Square, dans les années 10s et 20s, vint, en effet, de sa proximité avec les théâtres. Cependant, avec la Grande Dépression, le déclin de Times Square commença dans les années 30s. La tableau olfactif, proposé par Masque Milano, résulte de ce drame historique, le krack boursier de 1928, qui entraîna cette place en forme de bouteille dans la misère, et le livra au commerce de tout ce qu’il y a de sordide jusque dans les années 90s. Le film de 1976 de Scorsese, Taxi Driver, en donne le plus beau rendu artistique.



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Taxi Driver, vue de Times Square en 1976 (Martin Scorsese)



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Taxi Driver, début du film, la vapeur de New York (Martin Scorsese)



Travis Bickle, chauffeur de taxi, ancien Marine au Vietman, joué par Robert de Niro, tourne sans cesse autour de cette place dont la faune nocturne lui renvoie l’image d’une saleté morale insupportable. Parallèlement, dans son parfum, Bruno Jovanic fait la part belle à des accords dissonants, intégrant des odeurs désagréables, qu’il réussit à esthétiser, tout comme les images de Taxi Driver de 1975, proche de hyperréalisme en peinture, jouent avec les couleurs vives des néons et leurs reflets brillants sur le pare-brise du taxi.



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Taxi Driver, vue de Times Square en 1976 (Martin Scorsese)



Il faut ici préciser que si Jonavic apprécie les odeurs de caoutchouc chaud et de vapeur rance, c’est en contraste avec les beaux parfums tapageurs à la tubéreuse et à l’œillet, portés par les femmes célibataires attendant, sur le trottoir, l’entrée à un strip-tease masculin.



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Phil Whitehouse, vapeur sur Times Square (flickr.com)



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Batchelorettes à New York (yelp.com)



Tout commence avec une note fraîche très vite avalée par deux accords dominants : l’un représente le gloss à lèvre ; l’autre la ‘fast food’ ou, si vous préférez la ‘junk food’, toute cette malbouffe consommée à même la rue, parfois par des gens très élégants – une pratique qui surprit grandement Alessandro Brun alors que cette habitude, en 1993, n’existait pas encore en l’Italie.



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Marashino cherry red lip gloss (limecrime.com))



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Street food (istockphoto.com)



L’accord appelé ‘Glossy Lipstick’, au dos de la boîte, contient des notes de violette, de baies rouges, dont la cerise pour le gloss et la fraise pour le bubble-gum (gomme à mâcher) dans la bouche maquillée, ainsi que des aldéhydes et de l’iris. Je suppose qu’il y a là des beta-ionones, combinant l’odeur de violette et de fraise, d’autant plus que celle-ci ne fait que gagner en force au cours du développement de Times Square. Mais la poudre d’iris sent aussi la violette et sert de fixatif depuis des siècles.



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formule de la beta-ionone)



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Fraises et cerises (cdiscount.com)



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Poudre d’iris (millevertus.com)



L’accord nommé ‘Hazelnut’, ainsi nommé sur la belle boîte noire de Masque Milano, possède une senteur grasse indéfinie, qui me rappelle l’huile de tournesol avec son arôme de noisette – une huile contenue, par ailleurs, entre autres dans certaines marques de beurre de cacahuète, et souvent utilisée dans les fritures, si bien vendues dans l’industrie du fast food.



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Beurre de cacahuètes (fr-en.openfacts.org)



Les notes de tête évoquent donc une bouche brillant d’un maquillage collant, grande ouverte, mâchant du chewing-gum, dans un environnement saturé de l’odeur d’aliments frits. Le mélange forme un tout, et ce d’autant plus que gloss et baumes à lèvres contiennent eux aussi de l’huile de tournesol connue pour ses propriétés hydratantes.



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KA Lip Magic Strawberry à la fraise et à l’huile de tournesol (flipthai.com)



Ces notes de tête s’esthétisent au contact des notes sucrées d’une absolue de fleurs d’osmanthus délicate, mais elle aussi grasse et cireuse. Tout se passe comme si de la vulgarité des relents de produits cosmétiques et de malbouffe montrait leur beauté, au travers de ces absolues magnifiques, comme les néons de Times Square, filmés par la caméra de Michael Chapman, qui lui parvenait sur le plancher arrière du taxi, conduit par Robert De Niro avec une lumière filtrée par le parebrise, le rétroviseur vu par la fenêtre, la semi-obscurité de sa position et souvent la pluie.



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Fleurs d’osmanthus (bloggang.com)



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Taxi Driver, un bar sur Times Square (Martin Sorsese)



En un premier temps, l’absolue d’osmanthus fonctionne comme une douce senteur d’abricot sec au travers de laquelle passent les arômes artificiels grossiers de fraise, de cerise et d’huile de tournesol. Cette absolue s’accompagne d’une absolue de tubéreuse dont je ne remarque absolument pas la présence, à moins qu’elle n’ajoute une note sucrée et orangée au parfum ou ne soutienne le côté poudré de l’iris.



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Abricotier (ornementaltrees.co.uk)



Ni l’une, ni l’autre ne sont envahissantes, mais brillent d’un certain éclat – celui des matières nobles – telles que les procure le Laboratoire Monique Rémy. Depuis presque 25 ans, cette petite boutique de Grasse, racheté par IFF en 2000, fournit des huiles essentielles et des absolues naturelles aux industries des arômes et des parfums. Les deux absolues, utilisées dans Times Square, lui apportent à la fois de l’éclat et de la finesse.



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Tubéreuses (lesechos.fr)



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Osmanthus (dreamstime.com)



D’ailleurs la facette cuirée et boisée de l’osmanthus assure l’harmonie du parfum en opérant la fonction avec l’huile de Gaïac, contenant des substances phénoliques, propres à évoquer le goudron et la fumée des embouteillages.



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Fumée des pots d’échappement (automobileglobe.com)



Soutenue par la gomme de styrax aux accents pyrogène, le tout me rappelle le célèbre Fahrenheit de Dior avec un petit air de Lipstick Rose des Éditions Frédéric Malle.



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Bois de gaïac (attarperfumers.net)



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Styrax (miherba.com)



Malgré l’odeur de goudron, d’arômes synthétiques et l’huile de friture, Times Square reste une création artistique, qui a su esthétiser cette puanteur, comme les deux parfums mentionnés, ainsi que des films sur le même thème, tels Taxi Driver qui a esthétisé la corruption et la violence et Midnight Cowboy la misère.



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Le Lyric Theater (carlastockton.me)



J’ai lu et entendu plusieurs critiques de Times Square le qualifiant de parfum difficile, à éviter lors d’un entretien professionnel. Personnellement, je trouve qu’il s’adoucit assez vite et je me laisse bercée par des notes fruitées et boisées, bien que son esthétique dissonante persiste. Dans ces dernières étapes, l’accord ‘noisette’ se transforme en coumarine poudrée, bien qu’il y a ait toujours une lutte entre la cerise et la fraise, d’une part, et le bois de Gaïac et le styrax, de l’autre.



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Coumarine (fr.made-in-china.com)



C’est un parfum que je porte surtout en automne sans me soucier de ma tenue : bien habillée, il apporte une touche surprenante de trash chic ; en tenue décontractée, il se fond dans le côté populaire de l’ensemble.



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Prostituées vue par la fenêtre de son taxi par Travis Bickle dans Taxi Driver (Martin Sorsese) (1976)



Au vu des critiques, je ne recommande toutefois pas d’acheter Times Square sans l’essayer au préalable. Ce parfum ne convient qu’à ceux qui trouvent une certaine dysharmonie esthétique ou que n’inquiète pas les histoires sans fin claire : lorsque Travis Bickle, dans Taxi Driver, revient à sa vie de chauffeur de taxi, ayant assassiné trois personnes, sait-on s’il rêve la conclusion improbable du film ou si l’improbable arrive ?



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Dernière scène de réconciliation et de renoncement dans Taxi Driver (Martin Sorsese) (1976)



Notes de tête :

Accord ‘noisette’, accord ‘gloss à lèvre et gomme à mâcher’



Notes de cœur :

Absolue de fleurs d’osmanthus chinoise, absolue de tubéreuse indienne ( Laboratoire Monique Rémy)



Notes de fond :

Bois de santal australien, Bois de Gaïac, Styrax hondurien