Eau de Cologne Impériale de Guerlain : Orange et Romarin

mardi 14 août 2018
par  Lavinia

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Eau de Cologne Impériale de Guerlain (édition limitée) (#lesplusbeauxparfums)



Cet article se divise en deux parties : dans la première, je tente de montrer l’influence de Farina sur Pierre-François-Pascal Guerlain, afin de défendre l’idée, dans la deuxième partie, que le procédé de fabrication d’antan, ni donc la formule ou l’odeur d’Eau de Cologne Impériale ne saurait être identique, bien que les mêmes ingrédients s’y trouvent sous une autre forme. Dans la troisième partie, je décris l’eau. Vous pouvez vous y rendre directement si le reste vous semble sans intérêt. Enfin, j’ai mis une note en bas de page sur le fameux flacon abeille conçu pour cette eau.



I - L’histoire de Pierre-François-Pascal Guerlain



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Pierre-François-Pascal Guerlain



Pierre-François-Pascal Guerlain (1798-1864), l’auteur de l’Eau de Cologne Impériale, s’est toujours prétendu l’élève de Jean Marie Joseph Farina (1785 à Santa Maria Maggiore-1864 à Paris), l’héritier de la formule d’une Aqua Mirabilis – un terme générique en Italie, depuis le 16ème siècle, désignant un alcoolat à base de plantes médicinales telles le thym, le romarin, la sauge et la bétoine – commercialisée dès 1716 sous le nom d’eau de Cologne. Encore très populaire au 19ème siècle, celle-ci avaient la particularité de contenir des agrumes : des écorces de citron, de bergamote, d’orange et de cédrat macérés dans de l’alcool.



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Écorces d’agrumes (crossfitroundrocktx.com)



En 1806, commercialisée à Paris avec l’accord de la famille Farina à Cologne et modifiée par Jean Marie Joseph Farina, cette eau – dont la création initiale s’attribue soit à Jean-Paul Feminis (vers 1660-1736), soit à son neveu, Jean Marie Farina (1685-1766) – devint la référence absolue, après qu’il put déposer le nom, Eau dite de Cologne, et ainsi gagner contre de nombreux plagiats.



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Jean Marie Farina



La même année, Jean Marie Joseph Farina s’associa avec Durochereau, le patron d’une maison de nouveauté, et ils ouvrirent une boutique de parfumeur sous le nom de Jean Marie Farina, 331 Rue Saint Honoré. C’est dire que le fondateur de la maison Guerlain, Pierre-François-Pascal, connut très certainement le personnage, ainsi que sa famille demeurée à Cologne, avant d’ouvrir sa propre boutique au 42 rue de Rivoli à Paris en 1828. En effet, il commença sa carrière en vendant des récipients en poterie, puis en tant que commis pour la Maison Briard, fabricant et commerçant en parfumerie et 1822 par la maison Dissey et Piver aujourd’hui L.V Piver, puis en important des savons, des vinaigres et des eaux de Cologne.



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Guerlain ’Parfumeur-Vinaigrier’ l’intérieur de la boutique rue de Rivoli



Au cours de ses pérégrinations en Angleterre et en Allemagne, ainsi qu’en raison de ses nombreux contacts dans le monde des cosmétiques qu’il démarchait pour ses poteries, Pierre-François-Pascal Guerlain se familiarisa avec la chimie, la botanique, les compositions et méthodes des parfumeurs.



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Alambic datant du 19ème siècle



Lorsqu’il fonda sa propre maison de parfumeur-vinaigrier en 1828, il continua à vendre des produits anglais, mais commença aussi à fabriquer des savons, des crèmes et des pommades, à l’aide de ses deux fils Aimé et Gabriel, ainsi que des parfums personnels et des eaux de Cologne, dont l’Eau de Cologne Supérieure, l’Eau de Cologne Royale, et, en 1830, l’Eau de Cologne Impériale. Leur succès grandissant permit aux Guerlain d’aménager 15 rue de la Paix en 1840.



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La boutique Guerlain rue de la paix



C’est là où, en 1853, Pierre-François-Pascal dédia l’Eau de Cologne Impériale à l’impératrice Eugénie, comme cadeau de mariage. Suivirent les commandes des autres têtes couronnées d’Europe, notamment la reine Victoria, la reine Isabelle d’Espagne, l’impératrice d’Autriche et le Tsar de Russie, qui entérinèrent sa renommée.



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Winterhalter, Eugénie de Montijo (1853)



II - Un mot sur l’eau de Cologne



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Eau de Cologne de Farina, Flacon de Rosoli (1811)



Notons qu’au 19ème siècle, l’eau de Cologne était encore un ‘alcoolat’, une contraction d’alcool et de distillat, et l’eau impériale un médicament. Voici les définitions qu’en donne le Littré (Dictionnaire en quatre volumes) paru de 1873 à 1877 : « Eau de Cologne, liqueur composée de diverses huiles volatiles de romarin, de fleur d’oranger, de lavande, que l’on dissout dans l’alcool et auxquelles on ajoute ensuite de l’eau de mélisse et de l’alcoolat de romarin. » ; « Eau impériale, alcoolat composé avec un grand nombre de plantes aromatiques. On donne ce nom à tout médicament liquide qui résulte de la distillation de l’alcool sur une ou plusieurs substances aromatiques, végétales ou animales  ; c’est ce que l’on nommait autrefois esprit. »



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Alcoolats (pinterest.fr)



Le procédé, que Pierre-François-Pascal Guerlain avait appris de Farina, consistait donc à faire macérer des plantes dans de l’alcool, puis à en effectuer une distillation, probablement à l’aide d’un alambic à bain marie, pouvant utiliser l’entraînement à la vapeur, afin de détruire la structure des cellules végétales et libérer les molécules odorantes. L’eau de vie se rajoutait à ce distillat comme on ajoute aujourd’hui de l’alcool aux huiles essentielles et aux absolues.



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Alambic à vapeur (distillation.bio)



Aussi, à l’heure actuelle, bien que la maison Guerlain déclare la formule inchangée, le procédé ne saurait être identique. Pour la grande distribution, les essences de citron, de bergamote et d’orange remplacent les macérats et des méthodes industrielles la distillation à l’alambic. Cela fait beau temps que les alcoolats ont été remplacés par une dissolution d’huile essentielle dans de l’alcool à 90°. Or de tel changements induisent nécessairement des différences olfactives. Et ce d’autant plus que la concentration en alcool en devient plus forte.



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Distillation de l’eau de Cologne montrée sur une brochure du 18ème siècle



De plus, même si ces ingrédients ne sont pas censés colporter une odeur, la formule a bien changé, puisque le site de Guerlain indique la présence d’antioxydants synthétiques : « ETHYLHEXYL METHOXYCINNAMATE • BUTYL METHOXYDIBENZOYLMETHANE • BUTYLENE GLYCOL DICAPRYLATE/DICAPRATE • BHT. » L’ Ethylhexyl Methoxycinnamate et le méthoxydibenzoyl-méthane, par exemple, sont censés protéger les produits cosmétiques de la détérioration causée par les rayons UV. Malheureusement, certains de ces puissants synthétiques, dont l’hydroxytoluène butylé ou BHT, semblent être des perturbateurs endocriniens.



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Formule BHT



Toutefois, le génie de Guerlain demeure, surtout dans les éditions limitées très soignées. Ce génie consista à créer quelque chose de simple et d’équilibré avec quelques accord se rejoignant dans une harmonie parfaite. Comme les définitions du Littré le prouvent, les formules des eaux de Cologne et impériale connaissaient beaucoup de déclinaisons possibles, bien que la première soit toujours à base d’écorces de bergamote, de citron et d’orange, et la seconde d’herbes aromatiques.



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Zestes d’orange (ecobnb.com)



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Aromates (lemillepertuis.com)



D’abord conçue comme un médicament, l’eau de Cologne, en particulier, pouvait contenir tous les végétaux traditionnellement ingurgités pour leurs vertus thérapeutiques : des écorces d’agrumes, des feuilles de thym, de romarin et d’oranger, les sommités fraîches et parfois fleuries de mélisse, de serpolet, de thym, de lavande et de marjolaine, ainsi que des semences d’anis, des épices bon marché, ou encore, de la racine d’angélique. A usage interne et externe, puis réservé en théorie aux frictions, l’intérêt de la chose était hygiénique plutôt qu’olfactif.



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L’approbation d’une faculté de médecine française en 1727



III - Particularités de l’Eau de Cologne Impériale



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Zeste de bergamote (healthydirections.com)



Dans l’Eau de Cologne Impériale, toutefois, il n’y a pas pléthore d’ingrédients, mais du citron, de la bergamote et de l’orange qui s’associent au thym et à la fleur d’oranger. Il en résulte un équilibre parfait entre le côté vivifiant du romarin, frais et herbacé, et l’élégance florale du néroli, à la fois suave, hespéridé et zesté.



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Néroli (agayon.com)



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Romarin (dissolvurol.com)



En note de tête, la verveine s’accorde avec les agrumes et les herbes et leur apporte de la finesse ; en note de fond, le petit grain vert et floral rejoint la douceur du néroli.



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Verveine odorante (wikipédia)



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Petit grain (earthessentialoils.com)



Mais le plus marquant reste le rôle joué par le romarin dont la fraîcheur camphrée et boisée domine la composition à tel point qu’il soutient à la fois son côté floral avec sa note lavandée et son côté herbacé avec sa caractère aromatique prononcé.



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Romarin (wikipédia)



Selon la maison Guerlain, cette eau peut se porter avec son parfum habituel tant elle se révèle évanescente, et ce contrairement à l’Eau de GuerlainEau de Guerlain : Citron frais, par exemple, conçue comme un parfum à part entière. Et il est vrai que le but premier de l’Eau de Cologne Impériale n’est pas de parfumer. Tous ses ingrédients possèdent une vertu thérapeutique traditionnelle, la bergamote, le citron et l’orange, étant revitalisantes, et le néroli un calmant, censé donner de la bonne humeur.



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Écorces d’orange, de bergamote et de citron (boroughmarket.com)



Le romarin, quant à lui, a longtemps été reconnu comme possédant un nombre incalculable propriétés bienfaisantes. Au Moyen-Âge il permettait, d’ailleurs, de combattre le Mal lui-même – une croyance qui ne me paraît pas tout à fait éteinte.



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Romarin (dessin du Moyen-Age)



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Romarin



Pourtant, l’Eau de Cologne Impériale a tant de caractère que je ne la porte jamais avec autre chose. Son amertume fraîche, herbacée, camphrée et légèrement orangée me paraît absolument unique bien qu’elle soit sous-estimée. Du point de vue de la renommée artistique – non de sa valeur – , je la compare aux suites pour violoncelle de Bach, composées entre 1717 et 1723, et publiées pour la première fois à Paris en 1824, dans une relative indifférence.



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Première suite pour violoncelle de Bach



La continuité de ces suites de danses, ainsi que l’ordre des mouvement sans irrégularité, rendait l’exécution des trois premières modérément difficile d’un point de vue technique. Elles furent donc beaucoup jouées, notamment dans les conservatoires et écoles de musique, non grandement prisées en tant qu’œuvres d’art. Il semble que Bach lui-même les avait conçues comme une suite d’exercices, du moins est-ce l’usage qui en fut fait. Par ailleurs, le violoncelle servait de faire-valoir, jusqu’au 19ème, mais, à l’époque, on admirait surtout la musique orchestrale.



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Suites pour violoncelle de Bach (amazon)



Parallèlement, l’Eau de Cologne Impériale était plutôt connue pour soigner les maux de tête d’Eugénie que pour son odeur merveilleuse. Celle-ci connaît peu d’évolution, bien que le départ soit plus hespéridé et le cœur plus floral. Certains trouvent son manque de tenue décevant, mais je trouve qu’elle dure comme peut durer un parfum de peau. Les agrumes, les herbes et le néroli sont suffisamment soutenues par le petit grain pour former un parfait accord, qui imprègne la peau d’une délicieuse fraîcheur amère, complètement indémodable en vertu de sa parfaite simplicité. Par forte chaleur, il n’y rien de tel.



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Raphaelle Peale, A dessert, still life with lemons and oranges (1814)



Notes de tête :

Citron, Verveine, Orange, Néroli et Bergamote

Notes de fond :

Romarin, Lavande et Petit Grain



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Romarin (wikipédia)



Note sur le flacon aux abeilles :



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Flacon aux abeilles (guerlain.com)



Contrairement à la cologne qu’il contenait, il ne fait nul doute que le célèbre flacon aux abeilles fut créé à l’occasion du mariage d’Eugénie. Adorné de tuiles, inspirées du dôme de la colonne Vendôme où se tient la statue de Napoléon, et de 69 abeilles peintes à la main en or fin, avec le chiffre de Napoléon, le N, pour motif central, entouré d’une couronne de lauriers, tous les détails du flaconnage revoient aux ambitions de l’Empire.



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Napoléon au sommet de la colonne Vendôme visible depuis la boutique de Guerlain, rue de la Paix



Napoléon I, puis Napoléon III, avaient adoptés l’emblème des abeilles, symbole d’immortalité et de résurrection, afin de rattacher leur dynastie à la plus ancienne de France : la dynastie mérovingienne fondée par le père de Clovis, Childéric Ier, en 457. En effet, depuis leur découverte en 1653 à Tournai dans son tombeau, les abeilles mérovingiennes étaient considérées comme le plus vieil emblème des souverains de France.



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Abeilles mérovingiennes



Quant à l’Eau de Cologne Impériale, on ne sait si elle fut conçue, ni seulement améliorée pour l’Impératrice, mais elle valut le titre de ’Parfumeur breveté de sa Majesté’ à Pierre-François-Pascal Guerlain. Déjà sa cliente du temps où elle était Comtesse de Montijo, Eugénie tenait de toutes les façons à défendre l’industrie française et avait grand nombre de protégés. Il faut aussi se souvenir que Napoléon était un grand consommateur d’eau de Cologne et Jean Marie Farina son fournisseur. Quelle belle continuité pour le Second Empire !