Diorissimo de Christian Dior : Muguet Complexe

mardi 1er mai 2018
par  Lavinia

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Diorissimo de Christian Dior, Le parfum (1956-60s) (photographie sur mon compte Instagram)



Ceci est une mise en garde. En général, je n’apprécie pas la note de muguet et ma critique de Diorissimo est teintée d’ambivalence. Je aime uniquement cette fleur dans Envy de Gucci, paru en 1997, maintenant discontinué, où elle se mélange entièrement à une brise fraîche de jacinthe et de bergamote, et aussi dans Gold d’Amouage formant un contraste hors-normes avec l’encens.



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Muguet (amazon.com)



Cependant je possède très peu de soliflores au muguet et ne supporte pas les parfums avec une note de muguet perçante, suraiguë, tels 5th avenue d’Elisabeth Arden ou Acqua di Parma Rosa Nobile de François Demachy sorti en 2014, qui ne sentent pourtant pas mauvais par ailleurs. En 2008, j’ai longtemps hésité à acheter Idylle de Guerlain, composé par Thierry Wasser, mais le muguet perçant a eu raison de mon engouement pour la rose.



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Fée du muguet



Peut-être que la raison de ce rejet m’en dira plus long sur mon admiration pour Diorissimo ? Le problème n’est pas que le muguet paraît artificiel. Car synthétique il l’est par la force des choses. La fleur de muguet reste, en effet, d’une plante saisonnière et distiller ses petites clochettes, disponible pendant un temps si court, produirait un rendement trop faible.



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Clochettes de muguet (scrapdanny.canalblog.com)



Le muguet se reconstitue généralement à partir de produits, tels le linalol, le citronellol, le citral, l’acétate de benzyle et d’hydroxycitronnellal, mais tous les grands parfumeurs ont leur façon de faire. Ainsi Le muguet d’Annick Goutal de 2001 possède-t-il une note de rose prononcée ; d’autres sont plus vert ou citronnés et peuvent contenir du citron ou de la citronnelle ; d’autres encore recourent au jasmin.



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Le (+)-Citronellol présent dans les huiles de citronnelle et le (−)-Citronellol dans les huiles de rose (18–55%) et de géranium pélogornonium (wikipedia)



Le muguet possède donc des molécules en commun avec la rose, le géranium et la citronnelle. Cependant, en sentant des fleurs fraîchement cueillies, je me suis aperçue que celles-ci ne me plaisent pas énormément non plus. Le problème de cette note en parfumerie n’est donc pas son manque de ressemblance avec la nature.



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Un des muguets testés (image tirée de mon compte Instagram)



Au contraire, les parfumeurs imitent si bien la senteur de l’air autour du muguet que leurs produits s’en rapprochent trop. Si le muguet possède, en effet, des facettes fraîches et vertes, qui rappellent le côté citronné de la rose et vert de la jacinthe, je lui trouve aussi un côté grinçant et envahissant de fleur blanche trop sucrée.



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Muguet (cotemaison.fr)



Toutefois, l’intérêt de Diorissimo réside dans son approche artistique plutôt que purement imitative : l’accord muguet se situe au centre d’une composition complexe, qui demeure la signature de son auteur. Roudniska sélectionna, en effet, des produits lui permettant de se rapprocher de la nature, en lui donnant des accents à la fois fruités et boisés, qui s’inspirent de la nature sans la copier.



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Chagall, Le Muguet



Il s’agit de la première incarnation de l’esthétique minimaliste de Roudniska, qui implique l’exclusion des synthétiques trop couramment utilisés dans les parfums, et, en particulier, de tous les produits rappelant, de près ou de loin, des arômes alimentaires.



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Muguet (carte) (pinterest)



A vrai dire, L’Eau Fraîche exprime bien mieux cet idéal. Lancé en 1956, après Diorama en 1948, puis L’Eau Fraîche en 1955, Diorissimo est le troisième parfum d’Edmond Roudniska pour Christian Dior. Mais Roudniska travaillait sur ce qui devint Diorissimo, dès 1952 ou peut-être 53, il n’en sait rien lui-même (voir son Que sais-je ?), afin de sélectionner des produits qui lui rappelaient son jardin, où il avait planté des muguets qu’il sentait à chaque printemps.



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Parterre de muguet (visoflora.com)



Selon ses dires, rapportés dans Parfums de Légende de Michael Edwards, Roudniska s’inspira aussi du Muguet des Bois de Coty de 1941, composé par Henry Robert, dont il admirait la note verte. Toutefois celle-ci, trop appuyée, rendait le parfum difficilement mettable, toujours selon Roudniska, car je ne possède aucun parfum de Coty.



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Affiche pour Muguet des Bois de Coty (1945)



En réaction, Roudniska a donc tenté de styliser son soliflore pour centrer son œuvre autour d’un muguet de parfumeur plutôt que celui trop rude du jardinier. Selon les puristes, il ne s’agit d’ailleurs pas d’un soliflore, parce qu’il contient des notes qui ne sont pas, à strictement parler, celles du muguet. C’est pourquoi j’ai inventé la catégorie des « Portraits de fleur », afin de rendre compte de la démarche artistique – Roudniska appelait Diorissimo un soliflore – sans rentrer dans des querelles techniques.



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Affiche pour Diorissimo dessinée par Gruau (à noter la ressemblance avec celle de Coty (1945)



La stylisation, en effet, me paraît le seul point essentiel, quels que soient les matériaux dont elle fait usage. Les parfums, qui jouent la carte du réalisme total, ne se portent pas aisément. J’en veux pour preuve les muguets stridents et des produits comme Red Roses de Joe Malone. Autant l’imitation me semble parfaitement réussie, autant elle me déplaît sur la peau. J’aime sentir la rose, non le rosier. Voici un parallèle : dans la nature, les couleurs vives de fleurs, ou le vert très vif des feuilles au printemps, sont d’une grande beauté, mais ne sied pas au teint de la plupart d’entre nous. Un vêtement entièrement de cette couleur ne convient donc pas ; il faut procéder par touches si l’on veut s’en servir.



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Satin vert criard (1945)



Ce qui frappe dans la première version de Diorissimo sont les nombreuses facettes articulées autour d’un accord muguet très fleur blanche au centre. Le jasmin ou une touche d’indole explique le caractère capiteux de ce parfum. Sa senteur lourdement sucrée donne un muguet sucré, non pas éthéré, mais sec, parce que poudré. Toutes les pyramides olfactives publiées font état d’une note de boronia. Si l’huile essentielle, non la concrète, entre dans Diorissimo, elle viendrait encore renforcer le côté capiteux du jasmin.



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Boronia (eureka.com)



En note de fond, dans la première formule, quelque chose s’accorde avec l’animalité du jasmin. Officiellement, il y a là du bois de santal, mais il se pourrait qu’une mousse de chêne explique les notes vert mate et légèrement balsamiques de Diorissimo. C’est pourquoi ce fond reste tout à fait indispensable et la version actuelle, qui n’a su le remplacer, en devient doucereuse, ultra-féminine et insupportable. J’irai même jusqu’au dire qu’elle a quelque chose d’hystérique.



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Bois de santal (brambleberry.com)



La note toute première note de tête ne manque pas non plus d’intérêt. Pendant les vingt première minutes, elle se répand rapidement dans l’air et assure le pouvoir de diffusion extraordinaire de Diorissimo. C’est peut-être ce pourquoi, d’un commun accord, ce parfum se décrit comme aérien. A mon sens, toutefois, il manque de transparence pour mériter ce qualificatif, bien qu’il se propage intensément dans une pièce et possède un sillage marquant. De fait, Diorissimo possède l’aura d’un lilas en fleurs, qui s’explique par la présence d’éther méthylique, avec son odeur fruité proche de l’huile d’ylang-ylang ou serait-ce de l’acétone sous une forme ou une autre ?



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Lilas (blog.interflora.com)



Quoi qu’il en soit, après ce départ tonitruant, vient, en effet, une belle note d’ylang-ylang. Avec elle se dégage un aspect essentiel de Diorissimo : sa légère trame fruitée ou le sillage clair de l’ylang-ylang. Peut-être l’amarillys et le jasmin donnent-ils aussi du corps aux nuances de fruit. Diorissimo en devient un muguet orchestré avec des fleurs, contenant toutes de multiples facettes, dont celle de fruits, qui renvoient au reste du monde végétal.



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Ylang-ylang (lgbotanicals.com)



L’essentiel du décor, toutefois, n’a pas encore été planté : un voile boisé marque toute la composition et l’adoucit considérablement, du moins dans sa première version, tout en lui donnant un accent sec et poudré. S’agit-il d’un méthylionone ? Il en existe tellement correspondant au descriptif sec, floral, poudré, fruité et boisé que cela s’avère tout à fait probant.



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Méthylionone



Officiellement, en note de tête, le bois de rose, aujourd’hui interdit en raison de la déforestation, entrait dans la danse en ce qui concerne mon parfum des années 50s. Il illustre le minimalisme de Roudniska : suggérer beaucoup de choses avec un seul ingrédient. En effet, sa légère odeur de rose boisée se lie peut-être avec la concrète de boronia, boisée et sucrée elle-aussi, le tout étant souligné par la pointe de santal ou de mousse de chêne en note de fond. Au résultat, Diorissimo reste un parfum floral, à la fois fruité, boisé et indolique.



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Bois de rose (zayataroma.com)



Autant dire que ce muguet n’a pas la fraîcheur d’une rose verte et citronnée. Malgré le descriptif de Roudniska lui-même, toujours tiré de Parfums de Légende, Diorissimo n’évoque pas exactement « une pluie de printemps sur un jardin blanc ». Les clochettes de muguet se révèlent plutôt asséchées comme si le soleil tapait dur sur une plate-bande exposée.



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Muguet sec (priceminister.com)



La nature environnante, quant à elle, est d’un vert assez dur, qui rappelle celui de L’ombre dans L’eau de Diptyque lui aussi très peu aquatique. Tout se passe comme si au contact des notes boisées, le linalol, le citronellol, le limonelal, le citral ou l’hydroxycitronnellal, ou tout ce qui peut entrer dans un muguet, se drainent et prennent la senteur figée d’une fleur cosmétique. Car, après la dispersion de la note vert mate de départ, et l’arrivée de l’ylang, Diorissimo reste presque linéaire.



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Hydroxycitronnellal



Ainsi, malgré tout ce qu’on peut lire sur la transparence et la légèreté de Diorissimo, son sillage de fleur blanche se montre extrêmement puissant et sa ténacité à toute épreuve. C’est pourquoi je le trouve pas facile à porter. Il s’agit d’un parfum sophistiqué que je mets, par tradition, au mois de mai, et jamais immédiatement avant de sortir, afin que la note de départ ait le temps de se disperser et l’ylang de se montrer. Une stylisation parfaite du muguet demande un style vestimentaire tout aussi parfait.



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Amarillys aphrodite (fluwel.nl)



Notes de tête :

Notes vertes, Muguet, Ylang-ylang et Bois de rose



Notes de cœur :

Muguet, Amaryllis et Boronia



Notes de fond :

Jasmin et Santal


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