L’Eau d’Hiver des Editions Frédéric Malle : Fonte des neiges

lundi 23 avril 2018
par  Lavinia

L’Eau d’Hiver des Éditions Frédéric Malle (photo sur mon compte Instagram)


Le minimalisme de Jean-Claude Ellena a tendance à laisser un peu froid. De prime abord, il ne se compare nullement à celui de son inspirateur, Edmond Roudniska, qui mettait des notes animales ou des relents de pourriture dans ses compositions : les premières versions d’Eau Fraîche (pas si fraîche que cela !) et de Diorissimo contenaient de la civette ; celles d’Eau Sauvage et de Diorella sentent le fruit abîmé, comme Le parfum de Thérèse, lui aussi édité par Frédéric Malle.



Jacquie Gouveia, Winter Landscape (2010) (fineartamerica.com)


Mais justement le thème d’une eau de toilette pour l’hiver se prête à un certain minimalisme. Presque toute en arrière plan, elle se tient à la frontière de l’inodore, éliminant par là toute référence précise aux formes de plantes, que nous rappellent les parfums par un jeu de correspondances.



Larry Bell, Vapour Drawing (1979)


L’Eau d’Hiver, lancé en 2003 par les Éditions Frédéric Malle, m’évoque l’odeur autour des ruisseaux, alimentés par la fonte des neiges, qui apparaissent au printemps et s’assèchent presque aussitôt, dès que la chaleur s’installe. Pour être plus précise, cette fragrance sent à la fois le foin et les pierres trempées, exposées au soleil, dont s’évapore cette eau très pure, quasiment dénuée d’odeur : elle transporte quelque chose de vert venant des plantes qu’elle inonde et quelque chose du noir des rochers qui font son lit.



Water sparkles off the rocks (travelorg.com)


Sa texture froide renvoie, en effet, aux neiges hivernales, maintenant liquéfiées, et au monde des pierres dont elle charrie les minéraux. L’hiver fait pincer les narines ; de plus, les odeurs sont atténuées par le froid comme le son par la neige. Aussi L’Eau d’Hiver , à peine un parfum, mais plutôt un voile d’hédione et d’héliotropine, se révèle un fond d’iris, traité comme une racine terreuse, rappelant les rochers vu au travers la transparence des cours d’eau.



Racine d’iris (dramatic.fr)


Après une bergamote fugace, l’ouverture de cette eau de toilette révèle une touche anisée d’aubépine et, surtout, de l’héliotropine pure très proche de échantillon que je possède. Autrement dit, la facette amandée de l’héliotrope reste peu exploitée. Ellena a choisi de la juxtaposer avec des notes hespéridées, qui soulignent la légèreté et la transparence du produit, plutôt qu’avec de la vanille, comme le fit notamment Jacques Guerlain, afin de la rendre réellement réconfortante.



Héliotrope d’Europe (wiktionnary)


Inspirée d’Après l’Ondée, L’Eau d’hiver n’en retient que six notes déclinées de la façon suivante : la bergamote devient très citronnée, l’aubépine miellée, la racine d’iris affinée, peu beurrée, l’héliotropine cristalline et l’œillet effacé.



Œillet mouillé (dreamstime.com)


Avec l’ajout d’une note verte, probablement des salyclates, et, je crois, beaucoup d’hédione, à l’instar de Roudniska dans Eau Sauvage, Ellena obtient l’effet translucide d’une eau pure, diffusée dans l’air ensoleillé, après avoir coulé sur des plantes et de noirs cailloux. C’est dire que L’Eau d’Hiver ne ressemble pas au parfum de Guerlain, bien qu’il ait un air de famille avec l’actuel EDT.



Eau sur les rochers (tes.com)


Une note de miel très marquée apporte de la chaleur à ce tableau. L’héliotrope en vient alors à évoquer le printemps et le nectar des fleurs. Un fond de muscs blancs se dévoile. Et toujours l’aubépine qui sent l’anis et le bouton de rose ?



Aubépines (pacificessences.com)


Amon sens, l’eau de toilette ne se décrit pas réellement comme une "première « eau chaude »", pour reprendre l’expression du site des Éditions Malle. Pourtant elle joue bien d’un certain paradoxe : la fonte des neiges produit une eau qui, venant de l’hiver, dévale la montagne au printemps parmi les fleurs nouvellement écloses. Celles-ci sont réellement aspergées par des chutes d’eau glacée, qui, en s’évaporant au soleil, transportent leur odeur miellée, tout en l’édulcorant au possible.



Rocher et eau (talesfromthebackoftheroad.com)


Le léger pincement de nez au contact du froid, que nous ressentons tous, se produit à l’échelle de la nature toute entière : les fleurs se glacent, les molécules odorantes se diffusent avec peu d’insistance et quelque chose de minéral se mêle à la vie.



Torrent (pixabay.com)


L’Eau d’Hiver n’a rien de la richesse aromatique d’Après L’ondée, version parfum, ni même de la violette émouvante de l’actuelle eau de toilette. La variation d’Ellena sur ce thème se veut épurée, malgré des notes ensoleillées, évitant par là le côté très plein des parfums de Jacques Guerlain, ainsi que leur côté romantique.



Larry Bell, Untitled (1969)


Je porte L’Eau d’Hiver au printemps, parce qu’à mon nez, il n’y a pas là assez de notes chaudes pour la saison froide. Après une quinzaine de minutes, la composition d’Ellena imite l’odeur de l’évaporation dans l’atmosphère, plutôt que celle venant d’une plante en particulier. Je m’en sers donc à contre-emploi : non comme une eau de toilette chaleureuse, mais plutôt un brin piquante et réchauffée.



Évaporation (talesfromthebackoftheroad.com)


Sur papier, on sent clairement des petites bulles de fraîcheur éclater sur un fond homogène et sucré – celui des plantes, des bois et des pierres détrempés, dont la senteur imprègne l’air au printemps, à la campagne, de manière très frappante. Les notes vertes et noires apparaissent aussi, mais ne me semble pas l’emporter sur le contraste entre les agrumes et le miel.



Cailloux (moshlab.com)


Comme beaucoup de parfums du même auteur, L’Eau d’Hiver reste extrêmement discret et n’a pas besoin d’être porté. Nul souci, donc, quant savoir si son sillage convient à l’occasion ou sa tenue vestimentaire. Cependant, contrairement à ce que je lis ici et là, cette eau de toilette possède bien un sillage, quil se fond dans l’air auquel il ressemble. On se retrouve enveloppés, sans s’en apercevoir, dans une bruine d’héliotropine, d’hédione et de muscs blancs. Sur la peau, le parfum tient longtemps, mais ne se fait guère remarquer. C’est peut-être là son réel paradoxe.



Fonte des neiges (footage.framepool.com)


Notes de premier plan :

Bergamote, Aubépine et Hédione


Notes de fond :

Iris, Foin, Héliotrope, Notes vertes et Musc Blanc