Hypnotic poison (EDT) de Christian Dior (2006) : slow seduction

dimanche 21 janvier 2018
par  Lavinia

Hypnotic poison de Dior (2006)


Lancé par Christian Dior en 1998, Hypnotic Poison est une fragrance vanillée d’Annick Ménardo jouant sur les facettes crémeuse, épicée et boisée de la vanille. L’impulsion pour ce nouveau parfum a été donné par l’arrivée de John Galliano chez Christian Dior avec le but de mettre l’accent sur la déduction.



Défilé de John Galliano (1998)


Par ailleurs, il s’agit aussi d’un parfum de ’la série Poison’ de Dior que tout le monde s’accorde pour trouver très différent de son illustre prédécesseur : Poison composé par Édouard Fléchier en 1985. Pourtant les deux parfums ont plus de points en commun qu’on ne le dit : un départ fruité et pimenté contenant une note de prune ; un cœur alliant la tubéreuse avec de la rose ; des notes de fond de bois de santal et de musc.



Prune (fr.fotolia.com)


Même le flacon rouge d’Hypnotic Poison, évoquant la pomme du péché, rappelle une version caoutchoutée du verre soufflé de couleur intense, massif et épais, avec la forme arrondie qu’avait dessiné Véronique Monod dans le style Maurice Marinot, grand verrier des années 20s.



Poison (rubylane.com)


Tout se passe donc comme si l’image mystérieuse, sensuelle et diabolique d’un parfum empoisonné était déclinée sur un autre mode moins tapageur, plus subtil, à la limite du gourmand, un genre devenu populaire dans les années 90s avec le succès retentissant d’Angel en 1992. Mais il s’agit d’une gourmandise faisant allusion à des parfums, tel Ombre Rose de 1981, dont l’audace ne consiste pas à badiner avec l’écœurement jusqu’à la limite du tolérable, comme le faisait déjà Poison. En effet, au cours des siècles, le fruit défendu est devenu un symbole du péché de la chair, comme les senteurs de produits cosmétiques qu’évoquent les parfums poudrés.



Image extraite du film publicitaire pour Hypnotic Poison (2008)


Dans le livre de la Genèse, le serpent séduit Ève grâce à la parole, l’incitant à manger le Fruit de l’Arbre de la connaissance du bien et du mal, afin de devenir semblable aux Dieux. Ici la séduction ne relève donc pas du registre de la force mais de la persuasion. La campagne publicitaire de 2008 tourne autour du thème d’Eve la tentatrice, alliée avec le serpent séducteur et séduisant à son tour armée de fruits rouges.


Stanhope, Eve tempted (1877) (gauche) ; Hypnotic Poison (2008) (droite)



















Bref, alors que Poison enivrait immédiatement, Hypnotic Poison agit très lentement. En effet, Annick Ménardo enrobe toute sa composition de vanille sucrée et choisit des fruits doux plutôt que des baies acidulées. Les fleurs blanches en deviennent crémeuses ; les fruits vanillés presque mangeables. En fait, Poison avait déjà un côté sucré et rassurant avec sa note de miel, mais son accord tubéreuse/baies ‘sauvages’ – qu’on s’imaginait bien empoisonnées, juxtaposées ainsi avec la plus enivrante des fleurs blanches – en faisait un parfum extrêmement puissant et complètement novateur qui choquait ou plaisait énormément.



Tubéreuse (groupon.com)


Hypnotic Poison, quant à lui, suscite lui-aussi la controverse, bien qu’elle soit moins violente. Personne ne veut l’interdire dans les restaurants comme c’était le cas pour Poison, même si certains ne la supportent pas mieux, en raison de leur dégoût pour la vanille, en général, ou de l’étrangeté de sa combinaison avec du carvi.















Vanille (gauche) Carvi (droite)


Mais, sur basenotes et Fragrantica, la plupart des amateurs de parfums considèrent la version vintage comme étant osée, sensuelle, attirante voire ‘magnétique’, ai-je relevé. Il faut avouer que l’eau de toilette de 2006, qui fait l’objet de cet article, se veut réconfortante jusqu’à ce que ce qu’elle fasse pleinement effet.



Flacon de 2006


C’est là une possibilité donnée par la vanille, cette épice si douce et, pourtant, enveloppante, tenace et sensuelle.



Hypnose (bertrandpicard.com)


Pourtant, à vrai dire, l’évolution de cette eau de toilette est curieuse. Au départ, il y a une note hespéridée toute aussi puissante que fulgurante, jamais mentionnée nulle part, qui sonne comme un coup de clairon. Tout se passe comme si un signal déclenchait l’entrée dans un état second.



Plexiglass citron vert effervescent (boniday.com)


Car après ce coup d’envoi, arrivent des notes de tête explosives, fruités-épicés, figurant de l’amande amère, de la prune, de l’abricot et du carvi. Au passage, l’amande amère contient du cyanure et consommer vingt fruits entraîne la mort, seulement elle s’utilise avec parcimonie en pâtisserie et en confiserie.



Amandes amères (quosentis.com)


Cependant une noix de coco luxuriante enrobe le tout d’une aura sucrée et laiteuse, annonçant déjà la vanille et procurant une sensation de flottement en contraste avec les épices déchaînées. La note de noix de coco, en effet, vient de la gamma-nonalactone, qui existe à l’état naturel dans la pulpe de fruit et de l’anis. Elle s’utilise également comme arôme alimentaire. Avec cette combinaison étonnante, nous nous retrouvons donc d’emblée dans quelque chose de dérangeant, évoquant la gourmandise, sans jamais y tomber.



Noix de coco (wikipédia


Par la suite, il m’est impossible de décomposer la fragrance en trois étapes comme une pyramide olfactive traditionnelle. Le site Dior annonce quatre dimensions : l’amande amère et le carvi, le jasmin Sambac opulent, le bois de jacaranda qualifié de mystérieux, la vanille et le musc sensuels. Nous aurions donc un parfum avec un accord amer, un accord opulent, un accord étrange et un accord lascif. A mon sens, le parfum s’appréhende comme une forme concentrique qui attire en son centre : l’amertume interpelle ; l’opulence impressionne ; le mystère fascine ; la sensualité captive. Ce genre de cercles représente couramment l’hypnose mais aussi la création du monde et l’adoration du de la lumière divine.



Hypnose (vocabulairemedical.com)



Giovanni di Paolo, La création du monde et l’expulsion du paradis terrestre (1445)



Giovanni di Paolo, Dante et Béatrice devant la lumière (1450)


Autrement dit, Hypnotic Poison réinterprète la vanille en la faisant tournoyer sur cinq axes : son côté sucré/feutré avec l’abricot ; laiteux avec l’amande et la noix de coco ; épicé avec le carvi (certains sites disent du piment) ; boisée-exotique avec les notes de fond ; charnel avec le musc blanc.



Georgia O’Keeffe, Abstraction White Rose (1927)


Personnellement, je reçois cette composition ainsi : d’abord je saisis un accord entre une note hespéridée fulgurante et la noix de coco, puis la douceur de l’abricot, de la prune et de la vanille domine, mais, très vite, le tout prend un tour doux-amer avec l’amande et le carvi. En effet, ces deux notes s’allient avec l’abricot et la prune, tout en les empêchant de se transformer en dessert olfactif en raison de leur expression d’amertume.



Emilie Preyer, Prunes et abricots, nature morte (date inconnue)


Ni l’abricot, ni la prune ne sont a priori des notes très juteuses, mais leur côté fruité devient plus sec au contact de l’accord amande amère/carvi. Le carvi, en particulier, marque la composition de son caractère aromatique et épicé. Sa facette anisée rejoint la noix de coco ; sa facette cumin léger s’oppose à toutes les notes sucrées ; sa facette mentholée se marrie avec la tubéreuse.



Graines de carvi


De plus, les fruits ressortent floutés de leur juxtaposition avec la noix de coco et la vanille omniprésente. A mon sens, il en va de même pour le bouquet de fleurs blanches et de roses mielleuses, saupoudrées d’amandes et d’épices, afin d’en atténuer la tonalité proprement florale. Lorsque je le sens, après l’apparition des notes amères, il me paraît presque abstrait, comme perçu de loin, d’autant plus que la vanille les recouvre telle une brume épaisse.



Jasmin Sambac (shutterstock.com)


On peut même dire que la vanille joue ici le rôle des aldéhydes ou des muscs blancs dans d’autres parfums : elle masque les fleurs tout en leur conférant de nouvelles possibilités olfactives. Mais alors que les aldéhydes leur donnent une belle envolée et les muscs, selon la variété utilisée, une tonalité propre ou animale, la vanille épaissit ici les notes florales jusqu’à en tirer de lourdes exhalations.



Tubéreuse (lemeragardens.com)


Aussi c’est surtout la facette indolique de la tubéreuse, du jasmin et du muguet qui me frappe le plus, comme si leurs senteurs de fleurs blanches s’entremêlaient à tel point que chacune ne retienne plus que l’essentiel de sa personnalité. La tubéreuse, très présente, se manifeste par son côté entêtant et charnel, le muguet par sa note aiguë, synthétique et stridente, d’un vert grinçant assez dur, et, enfin, le jasmin sambac souligne le tout à sa façon exotique et grisante. Cette absolue, à la fois subtile et puissante, possède un côté miellé, avec une facette fleur d’oranger, qui s’accorde à merveille avec l’esprit gourmand un tant soit peu animal d’Hypnotic Poison déjà exprimé par la tubéreuse.



Jasmin sambac (cosmetoshop.com)


Et je trouve que c’est seulement là, avec les fleurs, après une à deux heures, que la composition se révèle réellement hypnotique, réduisant le champ de conscience à son odeur à la fois doucereuse et entêtante, encore accentuée par le contraste entre les notes florales et une note de musc claire et propre, qui en vient à former un accord délicat avec la vanille. Aussi Hypnotic Poison donne l’impression de dériver dans un univers velouté où même les bois de santal et de jacaranda, en notes de fond, se marient avec une noix de coco fondante.

Boniday, Tableau zen, noix de coco, (boniday.com)



Noix de coco (passeportsante.net)


Il faut dire que le santal de bonne qualité est déjà crémeux et donne toujours une impression de mystère parce que sa senteur semble apparaître et disparaître sans crier garde. Le bois de jacaranda, quant à lui, a la réputation d’être riche et profond, mais, malheureusement, je n’ai jamais senti que ses fleurs violettes. Dans Hypnotic Poison, je le crois à l’origine d’une note balsamique et aromatique, qui me rappelle le bois d’acajou, mais il m’est difficile de le distinguer du bois de santal dont je ne connais pas la provenance.



Bois de santal (mycosmetik.fr)


Finement mélangées, les notes de fond boisées dégagent une odeur chaude, rassurante et exotique qu’il m’est impossible d’analyser plus loin. Car outre la vanille sucrée, l’amande amère et les fleurs indoliques finissent par envelopper les bois dans un même ensemble crémeux dont ils ressortent alanguis, mais toujours suffisamment puissants afin de compenser l’élément gourmand de l’eau de toilette. Il n’y a pas que le carvi et les fleurs qui donnent son intensité à Hypnotic Poison : les bois y contribuent largement.



Allée de jacaranda



Film publicitaire pour Hypnotic Poison (2010)


Malgré sa douceur vanillée/musquée et son côté anisé très plaisant, le sillage de Hypnotic poison n’en est pas moins redoutable parce que plus insidieux que celui de Poison. C’est pourquoi je préfère le porter l’hiver avec un beau pull moelleux de couleur chaude, comme cette eau de toilette très peu fraîche, malgré le musc propre qui lui apporte une note de clarté.



Gousses de vanille (nicolaspettini.net)


Car, à vrai dire, Hypnotic Poison me semble posséder un caractère intense, très sensuel, presque grisant, idéal pour ceux qui veulent séduire en secret sans avoir l’air d’y toucher. Mais, au fond, c’est surtout un parfum de caractère que j’aime pour lui-même avec ses accords surprenants.



Image issue de la campagne de 2010 pour Hypnotic Poison


Notes de tête :

Citron, Abricot, Prune, Noix de coco, Amande amère et Carvi


Notes de cœur :

Tubéreuse, Jasmin, Muguet et Rose


Notes de fond :

Bois de santal, Bois de jacaranda, Vanille et Musc


Nota bene : il existe trois flacons différents pour Hypnotic Poison : le mien correspond au flacon en haut de la page, plus visible encore au milieu de l’article, datant de 2006 (il semble caoutchouté au toucher) ; l’affiche publicitaire ci-dessus montre le flacon de 2009 ; dans la campagne publicitaire avec Milla Jovovich (photo ci-dessous) figure l’original avec son capuchon penché comme un béret sur la tête. Je n’ai jamais senti cette version et ne sais donc pas si la mienne est une première reformulation. En revanche, les notes de tête de la formule actuelle sont plus citronnées, peut-être parce que partiellement évaporées de ma version plus ancienne, mais la tubéreuse me semble moins marquée.



Défilé de John Galliano (1998)