Timbuktu, de L’artisan parfumeur, le bûcher des jeteuses de sorts.

mardi 21 novembre 2017
par  Lavinia

Timbuktu de L’artisan parfumeur

Bien que Timbuktu appartienne, en théorie, à la famille des boisés secs, il ne tombe pas dans la catégorie des compositions bien charpentées, propres et conventionnelles, sans doute destinées à un public masculin, qui veut éviter de transgresser les normes. Timbuktu tient du vétiver frais et sec, mais ne se contente pas de laisser évoluer les notes de bois de leur clarté initiale jusqu’à l’obscurité atteinte en fin d’évaporation. On sent vraiment la fraîcheur de la plante.

Plante de vétiver

Certaines notes montantes, comme le poivre rose en note de tête, l’encens ou le cypriol en notes de cœur, le patchouli et le musc en notes de fond, évoquent le mysticisme. De plus, le papyrus, sec et boisé, évoque l’âge d’or de Timbuktu, se situant pendant notre Renaissance, et les précieux livres dont les familles se donnaient la garde de génération en génération pour laquelle la ville était connue comme un centre culturel musulman où l’on venait étudier de toute l’Afrique.

Manuscript de Timbuktu (1001inventions.com

Pour la note, Luca Turin rapporte que dans un entretien, Bertrand Duchaufour a partiellement attribué la beauté de ses notes de bois sec à la qualité d’une huile essentielle très rare venue d’Inde : le cypriol qui fait l’effet d’un bûcher de bois sec brulé. Luca Turin s’en est procuré et en fut impressionné : selon lui, une note fumée sans huile ou goudron se dégage effectivement du cypriol. Néanmoins, il remarque très justement qu’un seul produit de qualité n’explique pas la grandeur d’un œuvre.

Cypriol

Deux autres facteurs, allant dans ce sens, au moins, me semblent pertinents. Le premier est l’originalité de la composition, qui superpose la structure classique vétiver, encens et patchouli, avec des notes fraîches et des notes sucrées. Ainsi, en notes de tête, la mangue verte ravive les épices froides que sont le poivre rose et la cardamone.

Mangue verte

De plus, en notes de cœur, deux fleurs africaines, peu utilisées en parfumerie, ajoutent une note très verte : le Karo Karounde, proche de la narcisse avec une facette cuir et animale, et des fleurs de café, à mi-chemin entre le jasmin et l’oranger, fruitées, ensoleillées, lumineuses, prenantes et donc suffisamment lourdes pour rivaliser avec les bois.

Karo karounde

Enfin, la myrrhe, rappelant le safran, la coriandre et le clou de girofle, associée au benjoin vanillé, combinent leurs senteurs épicées et sucrées et équilibrent, en notes de fond, le côté terreux et boisé du patchouli, aux relents poussiéreux et camphrés, et le vétiver fusant et frais.

Patchouli

Au résultat, le vétiver en devient encore plus vibrant et le patchouli prend des airs fruités de pommes trop mûres. De la sorte, l’ensemble se révèle très sensuel. Inhabituel pour un boisé sec, Timbuktu a un effet tantôt euphorique et léger, tantôt intense et lourd.

poivre rose

Le deuxième facteur dont je parlais est la source d’inspiration de Duchaufour. Sorti en 2004, Timbuktu fait partie de la deuxième série des parfums inspirés de voyages que lança L’Artisan parfumeur. Or le voyage est une source d’inspiration féconde pour tout artiste. En effet, celui-ci a le privilège de voir ce qui est habituel aux autochtones d’un œil neuf, ce qui lui permet de s’étonner et d’aller à l’essentiel.

Papyrus

Lorsqu’on est trop proche de quelque chose, on a plus cette capacité d’émerveillement, qui alimente l’inspiration, et partant d’un regard extérieur, le rend capable d’une vision plus pénétrante. S’émerveille-t-on des plantes que l’on voit tous les jours ?

Arbre à myrrhe

Selon Osmoz, Duchaufour se déclare inspiré par un rituel de séduction africain où les femmes concoctent une potion magique à base d’odeurs de bois, d’épices, de résines et de racines, qu’elles font macérer, puis ébouillanter, afin que leur peau s’imprègne de cette riche fumée, sur le modèle des Dieux de l’antiquité, qui se nourrissaient de la fumée des sacrifices. Seulement ici il s’agit de s’en parfumer le corps. Timbuktu serait donc peut-être le parfum des amours du Mali.

Encens

Danseuses maliennes

Dans tous les cas, il s’agit d’un parfum unique d’une sensualité exotique. De beaucoup le trouvent unisexe, parce qu’il est à la fois riche et lumineux. Mais l’odeur du cumin et du patchouli rappellent celle de la peau : alors androgyne, oui, plutôt qu’unisexe, dans le sens d’une parfaite entente sexuelle où règne la magie d’une sensualité féminine exotique associée aux notes fleuries et résineuse venues d’Afrique.

Femme portant une ceinture malienne

Fleurs de café

Grains de poivre rose

A vrai dire, le parfum de Duchaufour nous invite aussi à entendre le mot ’Timbuktu’ dans son acception habituelle _ celle d’un lieu lointain où l’on parvient si difficilement qu’il se situe à la limite du réel et de l’imaginaire. Là se pratiquent encore des cultes à des Dieux mystérieux ; là se situe le bout du monde.

Figurines Jonyeleni : matérialisations de l’âme féminine utilisées lors du rituel Jo (Galerie Bruno Mignot)

Vue aérienne de Timbuktu (saharianvibe.com)

Notes de tête :

Poivre rose, Mangue verte, Cumin et Cardamome

Notes de cœur :

Papyrus, Encens, Cypriol, Fleurs de café et Karo Karounde

Notes de fond :

Patchouli, Benjoin, Vétiver et Myrrhe.


Commentaires