Bandit de Robert Piguet (vintage années 50/60) : Cuir très vert

jeudi 21 septembre 2017
par  Lavinia

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Bandit de Robert Piguet (vintage années 50/60) (#lesplusbeauxparfums)


Bien avant de sentir Bandit, la sulfureuse réputation de premier parfum de Germaine Cellier pour Rober Piguet m’était parvenue. Selon Elena Vosnaki, Cellier distinguait ses deux parfums pour Piguet de la façon suivante : Fracas était une tubéreuse voluptueuse conçue pour des femmes comme Edwige Feuillère, Bandit pour les lesbiennes.


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Germaine Cellier dans les années 30



D’ailleurs Germaine Cellier, qui ne cachait pas sa bisexualité, et Marlène Dietrich, dont c’était parfum signature, le portaient. Et c’est tout dire.


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Marlène Dietrich habillée en homme



Dès lors, je m’attendais à un cuir sec sans compromis, à des notes sèches set fumées de bois brûlé et de tabac avec du goudron de bouleau en vedette. Quelle ne fut pas ma surprise de sentir tout d’abord une note extrêmement fleurie de gardénia dont l’étonnante diffusion est sans doute assurée par les aldéhydes. (Je voterais par des aldéhydes C12 à cause de la fraîcheur des fleurs.) En arrière plan, le cuir a déjà fait surface, mais des notes de cœur soutiennent aussi cette envolée de gardénia avec ses effluves indoliques de fleur blanche, ses accents verts et son odeur si particulière de champignon.


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Gardénia



Cependant, ce rush de Gardénia fut bref, car l’armoise, avec sa facette de fleur blanche à tonalité verte, fait immédiatement la jointure entre la féminité du gardénia et les notes herbacées de Bandit. Au départ, le caractère masculin de ce parfum lui vient donc de notes aromatiques couramment utilisées dans les fougères. L’armoise aromatique leur donne du montant, ainsi qu’aux chyprés, parce qu’elle ajoute du piquant à la mousse de chêne et au patchouli sans écraser les notes de bergamote et de fleurs. Au contraire, elle les grossit.


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Armoise



Dans Bandit, associée au galbanum, lui aussi légèrement amer, l’armoise confère verdeur et âpreté au parfum, tout en laissant transparaître la bergamote et un bouquet floral d’où on ne distingue pas nettement les fleurs, mais seulement un ensemble harmonieux. Mais cet accord vert n’en fait pas moins basculer Bandit le camps des cuirs drus, le galbanum étant lui aussi fortement dosé.


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Galbanum



Aussi alors qu’Ernest Beaux adoucissait son cuir avec du jasmin et de l’ambre et qu’Ernest Daltroff le recouvrait de vanille sucrée, Germaine Cellier le juxtaposa avec une verdeur brutale et provocante. Et ce vert est d’autant plus agressif que des notes de fond amères, du patchouli et de la mousse de chêne, remontent déjà, afin de renforcer l’aigreur du tout bien avant que l’on arrive au cœur fleuri du parfum.


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Mousse de chêne



A vrai dire, Bandit n’en finit jamais d’être vert, passant du vert scintillant des herbes aromatiques, trempées de bergamote fraîche, au vert profond et moisi de la mousse de chêne et du patchouli. Ce n’est dire que le jasmin, l’œillet, la violette, la tubéreuse et la rose sont absents du tableau, ni qu’ils manquent d’importance.


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Œillet de poète



Au contraire, leur rôle est essentiel : fournir un contraste. Car, en effet, Bandit se définit comme un parfum fondamentalement dissonant dans lequel un cuir sec et sombre affronte un accord vert et humide. Dès lors, le bouquet fleuri offre un contrepoint harmonieux à la rude dissonance entre la fraîcheur de l’armoise et du galbanum, d’une part, et l’isobutyl quinolèine terreux, avec ses tonalités animales, mousseuses et caoutchouteuses de l’autre.


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Formule de l’isobutyl quinolèine



Le choix de créer son accord cuir avec de l’isobutyl quinolèine, en lieu et place du goudron de bouleau, boisé et très fumé, n’est pas innocent. D’ailleurs, Cellier fut la première à l’utiliser afin d’obtenir une odeur cuir aux accents verts. Or cette senteur puissante et synthétiques de l’isobutyl quinolèine heurte les notes vertes naturelles de plein front et créé une disharmonie de verts.


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Francis Bacon, Pope, (1959)



Il ne faut pas oublier que Robert Piguet rêvait de pirates naviguant sur de fortes mers verdoyantes, lorsqu’il demanda à Germaine Cellier de créer un parfum pour sa collection de couture avant-gardiste, portée pour la première fois, en 1944, par des mannequins défilant avec des masques noirs en brandissant des sabres. Il y a là de quoi faire fuir des hommes à moins qu’ils ne veuillent fuir les conventions placides.


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La femme pirate Anne Bonny



Quoi qu’il soit, Bandit reste encore aujourd’hui un parfum unique parmi les cuirs. Il n’a pas leur côté réconfortant, chaleureux et fumé , riche et luxueux, élégant et souple. Dans Les sens du Parfum, Guy Robert le disait : « beau mais brutal. » En cela, Bandit rejoint la musique dite atonale dont la sonorité cherche à s’émanciper du contexte dans laquelle elle est généralement perçue. Pour des compositeurs comme Schoenberg, il ne s’agissait plus de créer une dissonance par rapport à un ton ou une clé centrale, comme il était déjà courant, afin de la résoudre, par la suite, de manière satisfaisante pour l’oreille. Au contraire, il fallait que la tension demeure, quitte à aliéner le public.


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Parallèlement, avec Bandit, on sort de sa zone de confort, pour ne jamais y retourner. La dissonance entre les notes vertes ne trouve pas de résolution. Les notes de tête et les notes de fond ne s’harmonisent pas : entre le cuir et les plantes, il y a un césure abrupte et, même si les fleurs forment des accords harmonieux, ceux-ci apparaissent temporairement, et il ne peut y avoir de résolution finale. L’artificiel ne se fond pas dans le naturel : la cuir ne prend pas la belle odeur des agrumes et des fleurs ; le cuir reste agressif, habillé pour le combat.


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Alors comment le porter ? Je dirais par une journée froide, en hiver ou au début de printemps, avec une tenue impeccable. Bandit me rappelle en fait la fonte des neiges lorsque perce l’herbe verte et les premières fleurs et apparaissent les rochers noirs, jusqu’à lors dissimulés par leur manteau blanc, brutalement mis à nus. Il y a quelque chose de massif dans ce parfum, qui correspond à des rochers noirs, et aussi un vert froid et humide, terriblement agressif, sans tendresse aucune.


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( Fonte des neiges, vds-phl.fr)

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(Fonte des neiges, studentsoftheworld.info.jpg



Notes de tête :

Armoise, Galbanum, Bergamote, Orange, Néroli, Gardénia, Ylang-ylang et Aldéhydes


Notes de cœur :

Œillet, Violette, Jasmin, Tubéreuse et Rose


Notes de fond :

Cuir, Civette, Musc, Mousse de Chêne, Patchouli, Vétiver, Ambre et Myrrhe


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