Bois de violette de Serge Lutens : La fleur de mars

mercredi 22 mars 2017
par  Lavinia

Bois de violette

A l’opposé d’une longue tradition, Serge Lutens et son nez préféré Christopher Sheldrake ont lancé, en 1992, un parfum à la violette dans lequel un fond de bois de cèdre empêche les facettes bonbon et cosmétique de la fleur d’aller dans la direction habituelle du soliflore rétro.


Bois de cèdre

Il n’y a pas, cependant, totalement absence de notes sucrées et poudrées seulement celles-ci se détachent d’un arrière-plan boisé. De cette façon, parce manquent les accords traditionnels avec l’iris et la rose, les violettes ne rappellent ni les sucreries d’antan, ni le boudoir et les produits de beauté poudrés, mais se fondent dans le sous-bois, là où elles sont naturellement présentes. Fait remarquable : Bois de violette est le seul parfum qui évoque les promenades au mois de mars lorsque les violettes tâpissent forêts.


Bois de violettes

Au début, le parfum s’ouvre sur des notes de feuilles de violette et de résines légèrement sucrées. Cette note de feuille de violette ne disparaîtra jamais et donnera au parfum une odeur de violette non-sucrée.



Feuilles de violette

Derrière la verdure feuillue se profile le bois de cèdre. Puis, doucement la fleur de violette entre en scène parmi ces notes vertes, résineuses et boisées. A ce moment précis, elle et ses feuilles semblent fraîches et naturelles. Petit à petit, la présence de la violette devient plus manifeste jusqu’à dominer la composition. Généralement, elle reste, toutefois, douce et discrète, parce qu’elle évolue au milieu de bois et de feuilles plus grands qu’elle, qui l’enveloppent de notes plus amères.


Feuilles de violette et violette

Tout se passe comme si un promeneur entrait dans les bois, remarquait les violettes et se penchait pour en sentir une de plus près, de telle façon à ce qu’elle deviennent le centre de son paysage olfactif et colorait le reste un moment fugitif comme la fleur devenait incandescente, alors qu’elle était fraîche.


Forêt illuminée

En réalité, lorsqu’on porte Bois de violette, la note fleurie apparaît tout d’un coup, très distinctement, pour s’effacer à nouveau. Prosaïquement, c’est le propre des ionones que de devenir inodores avec l’accoutumance. Ainsi la violette peut sembler disparaître d’un parfum. Mais l’habitude perdant de sa force, cette note revient à nouveau. Le promeneur repart donc, ayant perdu l’odeur de la violette, mais, au détour d’un chemin, il se baisse à nouveau et se surprend à la retrouver.


Violettes

Seulement cette fois ci, des notes de prune et de pêche étincellent au loin et le côté aquatique de la violette, verte et matinale, couverte de rosée, en semble plus délicate. Il y a donc là un bouquet de fruits, de bois et de violettes s’exprimant sous toutes ses formes : des feuilles, de la poudre et des pétales frais. Seul le cèdre, bon au départ, développe une odeur lourde, linéaire, sans richesse, pareil à de la mine. Il plomberait cette fragrance forestière de fleur des bois, si des épices, de la cardamone et de la cannelle, ne parvenaient tout de même pas à le sauver.


Pêches dans l’arbre

De plus, il y a aussi des fulgurance de fruits qui passent sur la scène comme la lumière d’un projecteur : une prune classique et aussi de la pêche, ni intense ou très sucrée, qui rappelle le distrait trait de crayon orange et fruité dans Iris Gris, là pour assurer un contraste juteux avec la note fraîche de la fleur d’iris, comme ici avec la violette.



Cardamone et Cannelle

Cette étape du parfum ne dure pas pas plus d’une heure. Après ce laps de temps, les pétales, avec leur tonalité aquatique, et la poudre de violette laissent place à un musc doux, qui brouille la composition la rendant de plus en plus nébuleuse et linéaire.


Photo Id-libre, Parterre flou

Au bout de trois heures, il reste une impression floue de tout cela : des violettes, des muscs, des épices et des bois secs. L’ensemble s’aplatit et devient de plus en plus abstrait. Un parfum léger de violette à la fois verte, aquatique et poudrée, ainsi que du cèdre, flotte autour de la peau comme un voile de soie. Bois de violette auréole. Point donc de sillage, mais une discrétion absolue, fidèle à la nature de la violette.


Voile de soie

Comme le savent tous les connaisseurs, Bois de Violette fait partie de la série des variations sur le thème de Féminité du Bois, un parfum très riche, conçu pour Shiseido, dont Serge Lutens a tiré de nouveaux effets, en isolant quelques uns de ses multiples accords, avec des surdoses des notes qui leur correspondent, des muscs, des fruits et de l’ambre, donnant respectivement Bois et Musc, Bois et Fruits, et Bois Oriental.


Affiche pour Shiseido

Selon Lutens, Bois de violette diffère des autres incarnations de Féminité du bois dans la mesure où le méthylionone intensifie le parfum, en le faisant tourner autour de la note de violette, assimilée à un joyau au centre d’un mandala. Et effectivement la métaphore s’impose. Je me l’approprierais simplement pour comparer le parfum aux rosaces d’une cathédrale, de la même forme circulaire, avec la même alternance de motifs figuratifs et abstraits, toutes aussi représentative du parfum.


Mandala

Toujours centrale, la violette se perçoit, en effet, plus ou moins clairement selon l’éclairage imparti par les notes qui apparaissent, semblable en cela au vitrail d’une cathédrale, dont les couleurs du verre s’illuminent selon l’emplacement du soleil. Ce soliflore violette resplendit donc fonction de la succession de notes juxtaposées avec la fleur pour ternir en fin de course quand vient la nuit lorsque tous les chats sont gris.


Rosace de Notre Dame de Paris

Quatre étapes essentielles marquent donc Bois de Violette : d’abord les feuilles de violette et le bois de cèdre se mettent en place ; puis les pétales frais se profilent ; ensuite des notes fruitées et poudrées entrent en scène : enfin les muscs doux arrivent et unifient le tout en un ensemble linéaire qui garde un côté aquatique comme si la pluie venait de tomber.


Violette mouillée

Pendant tout ce développement, les notes de feuilles et de bois ne disparaissent jamais : elles font partie du décor, toujours présent, dont on reprend conscience de temps à autre, lorsqu’on ne fait plus attention à la violette, qui devient abstraite, pour ressurgir soudain, très poudrée, au détour d’un mouvement du corps.


Violette de Toulouse : poudre de violette

Discret, il s’agit plutôt d’un parfum diurne, qui tient environ sept heures, dont six en sourdine, avec des notes de feuilles, de fleurs et de poudre de violette réémergeant parfois. Avec son auréole douce, on peut le porter en toute saison, mais personnellement, j’aime les parfums à la violette au printemps et mets un point d’honneur à les sortir de ma collection au mois de mars lorsque l’envie nous prend de se promener dans les bois.


Tronc de cèdre

Notes :


Feuilles de violette, cèdre, violette (méthylionone), prune, pêche, cardamone, cannelle et muscs.


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