Ambre sultan de Serge Lutens : Herbes collantes et somptueux palais

mercredi 8 mars 2017
par  Lavinia

Ambre Sultan

Lancé en 1993, Ambre Sultan fut le début d’une vague de parfums conçus autour de la note ambrée. A la base, celle-ci se compose de labdanum et de vanille, mais diverses résines, typiquement du styrax et du benjoin, s’ajoutent au mélange.

Résine coulant d’un tronc d’arbre

Généralement, lesdits ambrés sont à la fois riches et doux, car ils jouent sur la facette vanillée de la note, en lui ajoutant une bonne dose de vanilline, et prennent un tour balsamique avec des résines sucrées telle le baume du Pérou.

Vanille

Toutefois, Serge Lutens voulut que Christopher Sheldrake travailla cette note autrement, en mettant l’accent sur la facette aromatique du labdanum, puis en l’enveloppant d’un léger voile balsamique et vanillé.

Fleur de labdanum

Bien qu’il ne soit pas mentionné dans la liste des notes généralement attribuées au parfum, il me semble que l’essence de ciste joue ici un rôle déterminant en combinaison avec le labdanum.

Résine de labdanum brute

L’essence de ciste et le résinoïde, généralement appelé labdanum ou ciste-labdanum, sont tout deux issus des feuilles et branchages du ciste ladanifère, qui produit une gomme visqueuse pour se protéger de la chaleur. Seulement celle-là se distille à la vapeur d’eau ou s’extrait à l’aide de solvants volatiles, alors que celui-ci s’obtient par ébullition.

Gomme de ciste

Très aromatique et camphré, le ciste évoque le pourtour méditerranéen où ces arbrisseaux poussent à perte de vue semblables à de hautes herbes. Il a un effet détonnant en note de tête, ce qui expliquerait l’ouverture explosive et pourtant déjà résineuse d’Ambre Sultan avec son côté boisé, collant et mielleux, peut-être renforcé par de la cire d’abeille, miellée, florale et animale, qui produit un effet naturel, aromatique et cireux, rappelant les feuilles de tabac, l’herbe et le foin.

Cire d’abeille jaune

Reste que l’essence de ciste semble s’imposer dans la mesure où Ambre Sultan garde sa fraîcheur, son odeur tranchante et rustique, tout en évoluant vers les senteurs balsamiques de la gomme du résinoïde labdanum. Aussi la présence de cette essence rendrait-elle compte de la jointure des notes de tête et de cœur permettant au le labdanum d’affirmer sans relâche sa facette aromatique.

Ciste ladanifère sur la côte espagnole

Cet aspect d’Ambre Sultan est d’autant plus marqué que l’essence de ciste est accompagnée de laurier, de coriandre, de patchouli et de racine d’angélique. Le laurier, rehaussé par le patchouli, fait surface très rapidement en note de tête et rappelle immanquablement le maquis, la chaleur sèche, la rocaille et la poussière.

Laurier

La note d’angélique, quant à elle, soutenue par la coriandre poivrée et animalisée, exprime la même amertume herbacée que celle-ci avec, en sus, une tournure anisée. Cette racine se montre étonnamment résistante. Après quatre ou cinq heures, elle donne toujours une odeur d’anis au labdanum et à la vanille.

Angélique et racines

C’est ainsi que la star du parfum est mise en vedette : le résine de labdanum, sombre et chaude, ne s’adoucit pas comme de coutume avec des doses importantes de vanille. La myrte et le styrax l’accompagnent et lui impartissent fraîcheur et amertume.

Myrte en Tunisie

De plus, la myrte camphrée, le styrax à la fois cuir, goudronné et balsamique, ainsi qu’une touche d’origan desséché font ressortir l’animalité du labdanum ainsi que ses notes de bois brûlé.

Origan séché

Comme le labdanum, son impact olfactif du styrax reste puissant, sans concession, tout au long de son développement, bien que la vanille et le benjoin viennent ajouter des notes d’une réconforte familiarité dans cet ensemble d’herbes, de racine et de résines aux senteurs tranchantes.

Résine de styrax

Il y a donc une note ambrée tout à fait classique dans ce parfum, mais elle crée un contraste mettant dos à dos la campagne brûlée par le soleil de la méditerranée et la fraîcheur des intérieurs, gardés dans la pénombre derrière des volets fermés, avec leurs odeurs de cire, de bois et de baumes doux.

Maquis broussailleux et très sec

D’une part, la poussière, donc, de l’autre, le côté balsamique du labdanum se révèle aux côtés d’autres résines naturelles : la myrrhe avec son côté réglisse et, au loin, une note amandée de benjoin doux et miellé qui sous-tend l’ensemble.

Benjoin de Siam

Cette note du parfum s’apparente à la vue d’un plafond de mosquée aux couleurs douces et chaudes situé tout au fond en hauteur.

Photo Kalout Traval Agency, Plafond d’une mosquée, vue verticale

Ambre Sultan est un parfum tout en profondeur, comme celui de labdanum lui-même, avec ses accords d’herbes, de feuilles, de bois et de résines mêlés à des senteurs balsamiques, ambrées et animales.

Souk aux épices à Dubaï

C’est en quoi l’odeur du labdanum s’apparente aux palais parfumés des sultans, bâtis pour repousser la chaleur qui les enveloppe, mais imprégnés par l’odeur des plantes et des jardins sur lesquels s’ouvrent les arcades de leurs portes.

Alhambra, cour des myrtes

A la fois brûlant et doux, Ambre Sultan se révèle aussi collant comme la gomme des résines et sec telles les herbes et la poussière qui accrochent. Selon Serge Lutens, cet ambre se qualifie de sultanesque en raison du cistus collant aux doigts et de la vanille adhérant à la mémoire.

Ciste ladanifère en Andalousie

C’est un parfum qui me rappelle le sud de l’Espagne en raison du nombre de ciste ladanifère qui y prolifèrent et de son architecture mauresque, très dentelée, rappelant la finesse de la vanille dont Sheldrake se sert en guise de voile de gaze fin, ornant le parfum de broderies et d’un effet de transparence.

Voile de soie broché

De plus, la culture méditerranéenne et arabe s’y sont jointes comme elles le font dans Ambre Sultan. Un excellent parfum d’hiver qui dure toute la journée et bien au-delà.

Dentelles de la cour des lions de l’Alhambra

Comme d’habitude, je joins une pyramide olfactive, mais ce parfum ne s’appréhende pas dans l’ordre que cela laisse entendre. Lesdites notes de fond enveloppent le reste de la composition avant de rester seules en fin d’évaporation et les notes de têtes ne disparaissent pas rapidement mais se mélangent avec les résines au cœur du parfum. La vue sur le plafond d’une mosquée ci-dessus illustre cet état de chose d’un point de vue visuel, parce qu’on perçoit des pans de mur entiers rejoindre le plafond.

Vue verticale de l’intérieur d’une mosquée

Il ne s’agit pas donc pas d’une composition linéaire et horizontale, mais plutôt verticale : les notes sont toutes présentes à des degrés variables d’éloignement à différentes étapes du développement. La pyramide n’indique que la présence maximale des notes montantes à un moment donné du temps. Le sultan appréciera.

Sultan Mehmed (Ottoman)

Notes de tête :

Ciste, coriandre, feuille de laurier, angélique et origan

Notes de cœur :

Résines, myrte, ambre (labdanum et vanille), styrax, myrrhe et patchouli

Notes de fond :

Benjoin et vanille


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