Farnésiana de Caron : La cassie sublimée

jeudi 23 février 2017
par  Lavinia

Farnésiana , EDP, de Caron (2014)

Au mois de février, dans le midi de la France, une explosion de jaune signale l’éclosion des fleurs de mimosa et une sorte d’hésitation de la nature entre la fin de l’hiver et de début du printemps. Les arbres illuminent le paysage de leur couleur vive et répandent, de loin, une odeur miellée et verte.

Acacia vachellia contre le ciel

Michel Morseti a traduit cette explosion de senteur en attaquant avec une essence d’acacia farnesiana, aujourd’hui appelée vachellia farnesiana, encore plus puissante que l’acacia decurrens. Ce mimosa sucré s’épanouit dans les climats tropicaux d’Amérique tropicale, d’Afrique, d’Asie et d’Australie. Mélangé avec de l’essence du mimosa de nos contrées, il donne son ouverture détonante à Farnésiana, riche, suave, chaude et poudrée.

Acacia vachellia

Il y aurait donc là une ambiance de boudoir et de houppettes. Cependant, une note de foin vert évoque plutôt les promenades printanières. Farnésiana a d’ailleurs, du moins au départ, une facette verte d’herbe coupée assez marquée.

Foin vert

De plus, ses notes fraîches, peut-être la bergamote, le foin et la pointe de feuille de cassis mentionnées dans la liste de notes de Fragrantica, empêchent son côté poudré de devenir suffocant. Paradoxalement, l’EDP est donc à la fois fort et aéré. Il évoque la densité du pollen jaune ainsi que son raffinement et toute sa délicatesse.

Feuille de cassis

Très vite, pourtant, ces notes de têtes sont rejointes par de l’amande et de l’héliotrope. Dès lors, des nuances amandées dominent l’EDP. Une note de violette permet de marier cette odeur poudrée avec un muguet plus vert que rosé se situant en continuité avec la trame verte du parfum. Ainsi la senteur très sucrée de l’amande n’entraîne pas la composition dans la catégorie des fragrances gourmandes. Farnésiana reste élégant.

Amande émondée

A ce stade, après environ deux heures, les notes de base commencent à apparaître. Le bois de santal finalise l’accord poudré et l’opoponax se mêle à la vanille et au musc pour donner un léger arôme fumé à l’accord de notes propres et amandées. Le tout est sensuel et joyeux avec un sillage modéré, mais Farnésiana tient toute la journée.

Résines d’opoponax

La maison Caron suggère que le nom de son parfum évoque le Palace Farnèse à Rome.

Fresques du Palace Farnèse

Cela ne me semble pas incongru au vu du fait que l’art de la Renaissance s’employa à imiter la nature, en rupture avec les parterres de fleurs et les ciels dorés du Moyen-Âge avec leur vocation anagogique : il devait représenter ici-bas une vision mystique de l’au-delà. Avec la Renaissance italienne, qui se situe entre le 13ème et le 15ème siècle, l’artiste veut représenter la terre plutôt que le ciel.

Annibale Carracci, Fleuve dans la campagne romaine (16ème)

Farnésiana a aussi cette ambition avec impressionniste en plus : il fut l’un des premiers parfums modernes cherchant à imiter la fleur de mimosa, un exercice notoirement difficile, tout en exaltant sa richesse. Un tableau post-impressionniste de Kisling illustre, me semble-t-il, cette démarche.

Kisling, Mimosa, 1939

En 1947 Michel Morsetti créa Farnésiana sur la base de notes écrites par Ernest Daltroff avant sa mort en 1941. Daltroff a passé sa jeunesse à voyager à travers le monde avec sa famille très aisée et les senteurs qu’il connut alors, dans des contrées pays exotiques, lui aurait servi de source d’inspiration. Cela ne me semble pas improbable, vu que le fameux Bellodgia fut créé après une escapade amoureuse en Italie, avec sa maîtresse, Félicie Vanpouille, où il découvrit une espèce d’œillet qui suscita son émerveillement. Alors pourquoi n’en serait-ce de même avec l’acacia farnésiana qu’il accorda avec du beurre d’iris et une violette un peu verte ?

Violette

De plus, la comparaison avec les artistes de la Renaissance, en particulier avec les paysagistes, n’est pas pour me déplaire, parce que même s’ils visent la parfaite ressemblance, non-médiatisée, de la nature, leurs tableaux n’en sont pas moins une perspective ou un horizon sensible qui s’offre à un point de vue. D’ailleurs aucun art n’est réaliste que dans l’intention. Or celle des artistes de la Renaissance est de représenter la beauté dans le visible, non la réalité tout entière.

Albrech Altdorfer, Paysage avec famille de satyres (16ème)

Ces éléments d’histoire de l’art permettent de comprendre Farnésiana. Il ne s’agit pas d’un mimosa réaliste au sens où on le confondrait avec la fleur, mais d’une interprétation de sa belle senteur, mobilisant des notes florales, poudrées, propres, balsamiques, surtout amandées et beurrées. Le parfum suggère même la présence de pollen dans l’air et la texture de ses petites boules duveteuses. Un très beau soliflore.

Pompon de mimosa plein de pollen

J’adore porter les parfums au mimosa à l’époque de leur floraison, mais ils conviennent tout le printemps. Si on veut harmoniser sa tenue avec un parfum comme Farnésiana, je verrais plutôt des couleurs claires, voire du gris pour le contraste, mais rien de trop fonçé. Ma version récente de l’EDP n’est ni lourde, ni fumée, comme le décrivent d’autres blogs, certainement inspirés par des formulations plus anciennes. En raison de son côté à la fois dense et joyeux, je ne mets donc pas Farnésiana avec des tenues sombres. Mais encore une fois, il n’y a pas de règle !

Beurre d’iris

Notes de tête :

Fleur de cassie, Mimosa, Bergamote, Foin et Cassis

Notes de cœur :

Iris, Muguet, héliotrope, violette et amande amère

Notes de fond :

Bois de santal, Vanille, Musc et Opoponax.

 


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