Coco de Chanel (vintage 1980s et actuel) : les palais de Venise

dimanche 12 février 2017
par  Lavinia

Coco de Chanel EDP (vintage 1984 et actuel) Photo sur mon compte Instagram


Baroque à l’extrême, mais harmonieux et équilibré, Coco de Chanel fut composé en 1984, après la mort de la modiste, par Jacques Polges. Celui-ci confia s’être inspiré de l’appartement de la défunte, rempli de miroirs dorés, de boiseries sculptées, de paravents et de lustres, dont certains avaient été rapportés de Venise.



Dans l’appartement de Coco Chanel (leparisien.com)


Il pensait que ce décor baroque, en apparente contradiction avec la simplicité de sa ligne de vêtements, montrait un visage méconnu de Coco Chanel, bien que qu’il soit déjà présent dans des parfums comme Bois des Îles ou Cuir de Russie.



Dans l’appartement de Coco Chanel (deedeeparis.com)


Cédant donc à l’envie de rajouter plutôt que simplifier, Jacques Polges n’en conserva pas moins le désir d’adoucir l’accord oriental.



Monet, Pêches (1883)


Dans Parfums de légende, Michael Edwards rapporte le propos suivant : «  Shalimar vous emporte aux Indes, Opium à Marrakech, mais avec Coco, vous êtes vraiment à Venise. » Ainsi Jacques Polge voulut composer un parfum baroque d’un orientalisme élégant. Ceci étant dit, bien que dérivé du classicisme de la Renaissance, le style baroque de Venise manifestait un caractère exubérant.



Musée de Cà Rezzonico (europetrotter.com)


Comment donc traduire les palais de Venise en parfum ? La richesse des couleurs, l’éclat des dorures, le foisonnement des ornements, arrangés avec un goût très sûr, sont à la fois puissants et caressants tant règne une harmonie de tons chauds.



Peinture de Chiesa di Sant Alvise


De même, Jacques Polgues adoucit l’accord oriental traditionnel en faisant grand usage des damascenones avec leur senteur complexe de fruits et de rose, récemment arrivées sur le marché.



Damascenones


Elles apportent à Coco la douceur et la brillance qui la distingue des autres orientaux des années 80. De plus, l’hédione unifie la composition et le prunol, une base sentant les fruits épicés, lui apporte un relent de raisins lustrés par une pluie d’automne. Ce produit fut inauguré dans Femme de Rochas par Edmond Roudniska son créateur.



Raisins sous la pluie (fr.dreamstime.com)

Dès le début, les notes de tête de Coco sont fraîches, mais sans légèreté, saturées de fruits et de jasmin. Les aldéhydes, la senteur de la pêche et de la fleur d’oranger se combinent avec la facette fruitée du jasmin et y gagnent une ampleur considérable.



Fleur d’oranger


Il y a là aussi quelque chose de sucré que je n’arrive pas à identifier : est-ce de la mandarine, de la pêche à forte dose, un jasmin extrêmement fruité comme celui de Grasse, la rose Turque ou les damascénones qui apparaîssent déjà, voire du Frangipane ?



Jasmin de Grasse (azurevents.com)


Rappelons pour la note que le nom de frangipanier vient du nom d’un italien, Frangipani, qui au XII° siècle fabriqua un parfum très apprécié, aux notes d’amandes pilées. Il conviendrait donc parfaitement à l’esprit de Coco, même si mon hypothèse semble tirée par les cheveux. Cette fleur évoque les marchandises exotiques ramenées à Venise par ses nombreux voyageurs. Dans le parfum, toutefois, il doit s’agir d’un accord frangipane reconstitué par Jacques Polgue.



Fleurs de frangipanier


Ensuite le côté floral et animal du jasmin prend le dessus. Mais les damascénones, très présentes, adoucissent le tout. Elles évoquent réellement une rose rouge de Turquie très sucrée.



Rose rouge (pixabay.com)


L’accord épicé de Coco s’annonce très vite et fait contraste avec ses notes balsamiques. Il joue principalement sur l’harmonie entre le jasmin en note de tête, la cascarille et le clou de girofle en notes de cœur, rejoints par le santal crémeux et les notes de fond ambrées : le labdanum, la fève de tonka et l’opoponax. Celles-ci s’accompagnent d’une note de cuir en clin d’œil à l’époustouflant Cuir de Russie.



Labdanum


La cascarille, peu connue, en provenance d’un petit arbre originaire des Antilles, dont on distille l’écorce, ajoute une pointe d’originalité. Épicée, poivrée, tonique et boisée, elle donne à Coco une senteur caractéristique, mais ne domine pas le parfum.



Cascarille (complementsalimentaires.com


D’ailleurs aucune note ne domine complètement, la plus proéminente étant, toutefois, le clou de girofle. Ainsi, malgré le fait que certaines, telles le clou de girofle, la cardamone et la cannelle, soient très puissantes, Polge a su les doser d’une main de maître.



Orange plantée de clous de girofle


Combinée avec la fleur d’oranger, la cascarille met en valeur la rose très présente au cœur du parfum. Mais à cause de sa double association, d’une part avec le clou de girofle et la cascarille épicés, d’autre part avec la chaleur du mimosa et du santal, Coco n’en devient pas fleuri pour autant, seulement d’une folle profusion de senteurs.



Cascarille


Cette opulence, lumineuse au départ, devient progressivement plus chaleureuse et balsamique, à cause de la qualité du bois de santal et des résines, rappelant le mimosa et la fleur de frangipanier qui s’éloignent. Caché au sein de cette base, le patchouli surprend par une note de vieilles boiseries et chocolat noir.



Opoponax


Tout ceci n’est pas sans rappeler les intérieurs hauts en couleur des palais de Venise. Il n’y a pas réellement de surcharge ornementale tant leur abondance se manifeste avec raffinement. Rien de plus facile que de peindre des murs en blanc, mais marier des couleurs chaudes avec des dorures relève du tour de force.



Cà rezzonica, salle be bal


Parallèlement, la beauté de Coco réside dans le fait que Jacques Polge combine admirablement bien une multitude de senteurs. Il suffit de les porter dans le même esprit baroque avec de la démesure mais sans outrecuidance. Je dirais l’hiver avec de lourds bijoux, bien qu’il n’y ait évidemment pas de règle fixe.


Notes de tête :

Jasmin, Pêche, Fleur d’oranger, Mandarine et Frangipane


Notes de cœur :

Cascarille, Clou de girofle, Cardamone, Cannelle, Rose turque et Angélique


Notes de fond :

Santal, Patchouli, Labdanum, Fève de tonka, Opoponax, Vanille, Civette, Cuir et Prunol.



Coco Le parfum (actuel)

Sophistiqué, mais moins baroque que l’EDP vintage, le parfum actuel s’ouvre avec une note hespéridée de mandarine de Sicile, douce et profonde, qui donne le ton de la composition. Celle-ci reste, en effet, pétillante de bout en bout. Même le cœur fastueux du parfum en est touché. Composé d’absolues de jasmin et de rose de mai, il reste extrêmement frais.




Jasmin et Rose de mai


En notes de fond, le patchouli d’Indonésie rejoint la fève tonka et le benjoin donnant son caractère oriental au parfum. Mais à vrai dire, je l’aime surtout pour son côté résolument fruité. Les absolues de fleurs ayant une odeur assez éloignée des fleurs naturelles, Coco en donne un rendu orangé plutôt que fleuri.



Mandarine de sicile


Le résultat est un délicieux parfum, avec une note de fruit très présente, qui n’en devient pas fruité pour autant. Riche et chaud, Coco convient parfaitement en hiver par temps froid.



Coco EDP (actuel)


L’EDP actuel est beaucoup moins épicé que le vintage. Il en devient presque plat. Le jasmin n’apparaît plus en note de tête et le cœur d’absolue de jasmin, accompagné d’ylang-ylang des Comores et de fleur d’oranger de Tunisie, ne tient pas aussi longtemps.



Ylang-ylang


De plus, la composition toute entière n’est plus trempée de jasmin, comme l’était le vintage, certainement en raison de sa combinaison avec l’hédione, mais aussi des quantités de jasmin utilisées autrefois.



Pétales de jasmin frais


Certes, Coco arbore un sillage de patchouli d’Indonésie, de fève tonka et de benjoin, mais peu de relief. Par rapport au vintage, il est devenu une sorte de parfum d’hiver consensuel pour femmes chics d’âge mûr ne souhaitant pas trop se faire remarquer. Coco reste un bon parfum que je porte avec plaisir pour son côté orangé d’un feu qui rougeoie chaleureusement.



Feu


Seulement le côté équilibré de la composition l’a finalement emporté sur son envolée baroque. Les notes de tête restent brillantes et fruitées, mais on ne dirait plus qu’elles sont sur le point de s’enflammer. Le clou de girofle et le patchouli restent très discrets ; le santal a disparu à mon nez et, avec lui, le mélange onctueux d’épices sur une base crémeuse, qui faisait de Coco un parfum décidément épicé.



Intérieur néobaroque


Actuellement, Coco est très peu oriental, histoire d’époque et de mode sans nul doute, car je vois mal comment l’ancien se vendrait. Malgré tous ces changements, Coco reste un parfum raffiné avec ses fleurs d’oranger, son absolu de jasmin et son final vanillé.

Notes de tête :

Mandarine, pêche, rose et pêche


Notes de cœur :

Absolue de jasmin, Ylang-ylang, fleur d’oranger, trèfle, clou de girofle et rose


Notes de fond :

Patchouli, fève de tonka, benjoin, ciste, opoponax et vanille.


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