Les frais : l’incroyable légéreté de l’eau

samedi 7 janvier 2017
par  Lavinia

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Chutes du Niagara (startingsport.com)


Les parfums frais se sont toujours voulu légers. Ils se portent l’été ou dans le but d’éviter un sillage trop marqué. Dans la tradition des eaux de Cologne, les notes d’agrumes servent à cet usage. En parfumerie, elles sont regroupées dans la famille des hespéridés en référence aux Hesperides, les nymphes de la mythologie Grecque.

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Les Hespérides sur un vase grec


Ainsi la bergamote, le citron, l’orange, la verveine odorante et le petit grain s’emploient dans les eaux légères, ainsi que comme notes de têtes dans les parfums, parce qu’elles leur donnent un départ euphorisant. Par-dessus tout, elles forment un contraste esthétique avec les notes plus lourdes et les allègent agréablement.

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Citrons et oranges


De plus, les notes de fleurs fraîches peuvent aussi produire cet effet. Par exemple, dans la version EDT de Cristalle de Chanel et dans Diorella de Christian Dior, le chèvrefeuille y contribue. Pour La Nuit de Noël de Caron, Ernest Daltroff réussit même à équilibrer une mousse de saxe amère avec des notes de tête pétillantes de jasmin, d’Ylang-ylang et de rose mai.

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Chèvrefeuille


Les grandes maisons de parfums ont toujours proposé à leur clientèle des eaux légères. L’Eau de Cologne Impériale de Guerlain fut créée en 1830 par Pierre-François-Pascal Guerlain avec des notes de tête d’orange, de citron, de néroli, de bergamote et de verveine odorante sur un fond de romarin, de fève de tonka et de cèdre. Certains bois, en effet, ont une odeur fraîche et servent de fixateur aux notes hespéridées qui s’évaporent rapidement. Actuellement on fait grand usage des notes boisées. Au contraire, la verveine odorante n’est guère plus utilisée en raison de prétendus risques pour la santé.

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Verveine odorante


L’Eau de Cologne Impériale fut dédiée à l’impératrice Eugénie et montre l’importance des Eaux de Cologne, qui furent commercialisées dès 1716, mais se diffusèrent largement en France à partir de 1760 avec le retour des soldats de la guerre de Succession en Pologne. Portées par les deux sexes, elles apportent une touche finale à la toilette et ne sont que légèrement parfumées. Longtemps vendues par les apothicaires, elles étaient prisées pour leurs vertus cicatrisantes, tonifiantes et revigorantes. L’association entre jeunesse et fraîcheur a certainement joué un rôle dans la croyance aux propriétés miraculeuses de l’eau de Cologne.

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Officine d’apothicaire


Cette quête de jouvence et de renouveau, plus marquée selon les époques, a donné lieu à des innovations en parfumerie. Au lendemain de la Libération, en 1945, apparaissent les notes vertes évoquant le printemps avec des odeurs d’herbes coupées, de feuilles froissées, de galbanum, mais aussi de jacinthe, de muguet, de rose, de tiges de géranium et de chèvrefeuille. En effet, certaines fleurs ont une facette verte, ce qui permit de créer des parfums frais, plutôt que des Eaux, soutenues par des notes de bois frais.

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Zurbarán, Nature morte avec citrons, oranges et rose, (1633)


Dans les années 50, cette mode du frais permit à Edmond Roudniska de développer une nouvelle esthétique : simplifier et styliser. Il se situait ainsi en réaction contre ’les parfums de confiserie’ avec leurs notes fruitées, sucrées, souvent très vanillées. Surtout il jugeait que le grand nombre d’ingrédients utilisés dans les parfums l’encombrait inutilement, le rendait confus. Au contraire, le travail de l’artiste, quel que soit son domaine, consiste toujours à simplifier au maximum, non à ajouter de vains ornements. Il faut aller à l’essentiel. Cette démarche ne manque pas de rappeler l’art chinois où le trait signifiant de l’artiste résulte d’un long travail d’épure du geste et de la vision.

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Fleurs de prunier en peinture chinoise xieyi


Avec Muguet des Bois de Coty pour inspiration, Roudniska chercha à évoquer le muguet avec quelques traits stylisés, un odorant pour un effet, visant sans apprêts le cœur de la nature. Le fruit de son travail, Diorissimo, un soliflore muguet, fut lancé par Christian Dior, en 1956, et créa un nouveau courant en parfumerie. Sa fraîcheur, transparence et légèreté suscite toujours l’émulation, Jean-Claude Ellena, actuellement chez Hermès, s’étant entraîné à l’imiter. Selon Roudniska, Diorissimo est « aussi frais et éthéré qu’une pluie de printemps sur un jardin blanc. »

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Pluie sur jardin


Les parfums frais connurent des hauts et des bas : vers le milieu des années 60, les verts revinrent à la mode, notamment avec Fidgi de Guy Laroche, lancé en 1965, et la fraîcheur légère et soutenue d’Eau Sauvage de Christian Dior, sorti l’année suivante, séduisant hommes et femmes, bien que la publicité, comportant des personnages dessinés, s’adressait directement aux hommes.

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Corto Maltese pour Eau Sauvage


Néanmoins, Eau Sauvage fut créé par Roudniska dans la droite lignée d’Eau Fraîche de 1953, à destination des femmes, déjà à l’aise avec son style de parfum minimaliste contenant en tout et pour tout de la mandarine, du citron, du bois de rose, de la vanille et de la mousse de chêne. Je ne sais à vrai dire s’il s’agissait de bois de rose, aujourd’hui interdit, ou de palissandre associé au géranium Bourbon, qui produit un effet tout à fait semblable. Pour la note, le palissandre regroupe différentes essences de bois, du genre Dalbergia, poussant sous les tropiques. Il a pu être utilisé par Roudniska dès 1953 ou fait partie d’une reformulation obligatoire.

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Publicité pour Eau Fraîche


Dans tous les cas, avec sa note de cœur boisé et ses hespéridés, Eau Fraîche convenait aussi aux hommes, cloisonnés dans le port de parfums frais et propres depuis Napoléon I. En effet, celui-ci ne tolérait que l’eau de Cologne, en raison de l’association des parfums capiteux avec l’aristocratie de l’Ancien Régime, masquant leur puanteur sous des senteurs lourdes, luxueuses et animales. Pour dire que ces revirements de mode ne datent pas d’hier. Dans ce contexte, Eau Fraîche s’avère donc tout à fait classique dans la droite lignée du 19ème siècle. Seulement ce fut la première eau de Cologne dont la fraîcheur s’éprouve durablement à cause de sa base de mousse de chêne.

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Mousse de chêne


Au XXe siècle, il y eut beaucoup d’aller-retour entre le frais et le lourd, les deux tendances coexistant parfois sans heurts. Si la Libération vit l’arrivée des verts, elle fut aussi l’époque du retour des chyprés, certains, comme Miss Dior, se parant de notes de tête vertes. Le même schéma se produisit dans les années 70. Notamment Aromatics Elixir, un chypré floral créé par la société IFF et sorti en 1971, connut un succès énorme sans éteindre la mode des verts. De fait, la rupture avec les frais n’arrive que dans les années 80 avec la vogue des parfums épicés et animalisés dans la mouvance d’Opium d’Yves Saint Laurent, créé en 1979, jouant sur l’attrait pour la décadence associée aux lourds parfums.

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Publicité pour Opium


Toutefois, à la fin des années 80, une certaine lassitude des senteurs fortes laisse place à une nouvelle sous-famille olfactive de parfums frais : les aquatiques. Le plus marquant reste L’Eau d’Issey d’Issey Miyake, sorti en 1992, avec son overdose de Calone, une cétone sensée sentir la pastèque et le propre, mais se révélant trop synthétique et puissant à mon goût. Ironiquement, Issey Miyake voulait quelque chose de pur et Jacques Cavallier, son nez, cherchait à imiter l’eau fraîche, non l’eau de mer. Pari perdu, les notes ozoniques, censées apporter une fraîcheur durable, rappellent plutôt les produits chimiques, certains disent les huîtres, donc une mer sentant les coquillages plutôt que le frais.

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Publicité pour L’Eau d’Issey


A l"heure actuelle, la plupart des aquatiques évoquent aussi l’air marin et l’iode avec des produits de synthèse et forment aujourd’hui l’énorme catégorie des parfums marins, voire sportifs. Je parlerai uniquement de ceux que je trouve réussis. Et au vu de la masse de ces produits sur le marché, ils sont peu nombreux. D’autres parfums tentent plutôt de rappeler l’eau fraîche, comme par exemple l’Eau d’Hiver de 2003, composé par Jean-Claude Ellena, un fervent admirateur d’Edmond Roudniska, aujourd’hui l’auteur de nombreux parfums frais et simples. Mais ils restent minoritaires tant la mer est devenue le symbole de la fraîcheur.

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Surf



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